Aimer l’amer, selon Anne-Sophie Pic

Aimer l'amer selon Anne-Sophie Pic
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La saveur amer reste l’une des rares terra inconita de la cuisine. De courageux explorateurs Anne Sophie Pic en tête, défrichent cet espace encore vierge ou presque…

Beaucoup de substances toxiques sont amères et les bébés, exposés à cette saveur prennent presque toujours « d’instinct » l’expression du rejet : une belle grimace ! La saveur amère est ainsi intégrée comme celle des aliments suspects. D’ailleurs, dans l’Art culinaire nombre d’opérations d’épluchage, de parage de blanchiment sont conçues comme autant d’outils atténuateurs de la saveur amère indésirable. Pourtant, ce que la tradition culinaire et notre cerveau « reptilien » repoussent, le génie de la cuisine nous le révèle pour ce qu’il est : un espace de recherche et de gourmandise !

L’amertume : saveur longtemps mal aimée de la cuisine 

En son temps Jean Delaveyne avait exploré cette piste. Il affectionnait, par exemple, les notes de la peau de pamplemousse confite qu’il réduisait en fine purée et dont il agrémentait jus, sauces et vinaigrettes avec un sens de l’équilibre très sûr. Les convives s’en étonnaient poliment, un peu décontenancés ! De nos jours, quelques chefs se risquent à jouer avec cette saveur rebelle et séduisante. Laurent Petit (voir ici ) lors d’une récente démonstration cuisinait une endive entière … avec sa longue racine ! Son amertume, allant crescendo de la base vers les feuilles, offrait ainsi au gourmet une navigation contrôlée en amertume profonde. Sur ce sujet, Anne Sophie Pic est une figure de proue puisqu’elle sillonne cet océan depuis belle lurette, jusqu’à en être devenue l’un de ses meilleurs cartographes !

Anne Sophie Pic : de la douceur dans l’amertume

Il suffit de lire sa carte pour s’en rendre compte. Dans le lexique du Chef, on ne parle pas d’une mais de plusieurs amertumes : florale, végétale, animale…Chacune d’elles ayant sa propre intensité et ses affinités sélectives. L’amertume n’est donc pas considérée comme un simple faire valoir, ou un artifice, mais comme une note complémentaire d’autres saveurs. L’amertume est conçue à la manière d’une saillie drolatique réveillant le plat (et le convive…), ou comme un arrière-plan, mettant le produit phare en vedette. Qui a dit que l’amertume avait un goût amer ? Pas Anne Sophie Pic !

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