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Vous en aviez rêvé ?
Vous en aviez rêvé ?
L’Espagne l’a fait ! L’ouverture en 2023 à Gran Canaria, aux îles Canaries, d’une ferme d’aquaculture de 52 000 mètres carrés capable de produire 3 000 tonnes de poulpes par an, soit l’équivalent de 1 million de céphalopodes. La raison de cette première mondiale, aussi ubuesque que désespérante pour l’espèce humaine qui en est la seule responsable : le poulpe est à la mode dans les assiettes. En réalité, ce mode d’élevage va sérieusement garnir le tiroir-caisse de ses concepteurs qui semblent ne pas se soucier du bien-être animal et qui ne voient pas le non-sens écologique d’une telle pratique.
Les mers, les océans et les milieux marins, sillonnés par des navires de plus en plus puissants et dotés d’engins de pêche extrêmement sophistiqués, vont mal. Pollution et surpêche sont montrées du doigt. Et quand les eaux se vident de leurs réserves halieutiques, l’aquaculture se développe. On estime que ce secteur a produit, en 2020, 87,5 millions de tonnes de poissons – en mer ou sur terre – contre 78,8 millions de tonnes pêchées en mer. L’aquaculture va-t-elle nourrir le monde entier ? Les entrepreneurs, à l’instar de ces Espagnols, semblent le croire et l’espérer en niant les catastrophes écologiques du passé engendrées par de telles pratiques et en omettant de préciser que pour produire 1 kilo de daurade, de bar ou de saumon, il faut 3 à 4 kilos de farine de poissons sauvages. Qu’auront au menu les poulpes au large des Canaries, eux qui, habituellement, se nourrissent de crustacés et de gastéropodes ? Nul ne le sait pour le moment, mais gageons qu’ils n’auront pas de langouste ou de homard en plat principal.
Et même si le dossier spécial que nous consacrons aux poissons et à la pêche est alarmant, il reste porteur d’espoir. Le thon rouge, longtemps menacé par la surpêche, se porte un peu mieux, les prud’homies en Méditerranée démontrent que les hommes peuvent s’entendre pour gérer la ressource et, enfin, des chefs de cuisine comme Christopher Coutanceau, à La Rochelle, peuvent être de bons ambassadeurs auprès de leurs confrères pour qu’ils changent leurs cartes et leurs menus en fonction de ce qu’ils ont à disposition à la criée et non pas en fonction de ce que les consommateurs aiment et veulent.
Car, oui, c’est à nous consommateurs de tenter de changer les choses en commençant par comprendre que, comme pour les fruits et les légumes, il y a des saisons pour les poissons et des espèces qui mériteraient d’être cuisinées en lieu et place des sempiternels cabillauds et saumons. Quant aux poulpes, il va falloir penser dès 2023 à vérifier leur provenance et leur mode d’élevage ce que ni vous ni moi n’avions imaginé devoir faire un jour.
Philippe Toinard, rédacteur chef de 180°C