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Une grande gueule pour les vignerons.
L'édito de 12°5 #9
Une grande gueule pour les vignerons.
L'édito de 12°5 #9La crise de la Covid-19 a touché tous les corps de métier et tous les secteurs. Pas un n’a été épargné, mais certains ont su trouver des porte-parole prêts à monter au créneau pour défendre les intérêts de leur corporation en interpellant le gouvernement, le Premier ministre et le président de la République. Chez les chefs de cuisine, Philippe Etchebest, Stéphane Jégo ou Gilles Goujon, pour ne citer qu’eux. Ils n’ont pas toujours obtenu ce qu’ils voulaient, mais leur omniprésence dans les médias a permis de souligner la détresse d’un secteur fort de 200 000 établissements (hôtels, cafés et restaurants). Chez les agriculteurs, les producteurs d’asperges et de fraises ont également su tirer la sonnette d’alarme et pu compter, avec beaucoup de lobbying, sur l’influence du ministre de l’Agriculture pour que la grande distribution s’engage à vendre leurs produits. Et les 85 000 vignerons dans tout cela ?
Avec des exportations bloquées, des restaurants fermés, seulement quelques cavistes résistants, des transporteurs pour moitié à l’arrêt et l’impossibilité pour les domaines de recevoir du public, le monde du vin a trinqué. Il représente pourtant un exploitant agricole sur cinq et produit 4,2 milliards de litres de vin, soit 17 % de la production mondiale. Malgré ces chiffres, la filière a réagi en ordre dispersé – chaque syndicat prêchant pour sa paroisse – et n’a pas su capter l’attention des médias en envoyant au front une grande gueule capable d’obtenir le soutien de la population française. Population qui, rappelons-le, est la deuxième plus grande consommatrice de vin au monde, derrière les États-Unis et devant l’Italie, avec 40 litres par an et par habitant.
Le monde du vin n’est heureusement pas resté les bras croisés et il était présent dans les salons des ministères pour réclamer un plan d’aide de l’État. Mais qui pour taper du poing sur la table dans les médias ? Personne ! La détresse des vignerons ne s’est pas assez vue, ni lue, ni entendue. Le grand public, via les réseaux sociaux, a tenté de soutenir la filière et nous avons vu fleurir les hashtags #boisuncanontusauvesunvigneron, #sauveunvigneronfaissauterunbouchon ou #sauveunvigneroncommandeuncarton. Ce ne fut évidemment pas suffisant pour écouler les stocks en attendant la reprise de la vie économique et sociale, et, pour sensibiliser la population dans son ensemble, il faudra à l’avenir penser à choisir un porte-parole du terrain. Pas un cravaté portant bien le costume. Non ! Un vigneron ou une vigneronne qui fasse l’unanimité, qui ne chercherait pas la gloire, mais simplement connu(e) pour ses valeurs, ses engagements, son sens de la solidarité et désireux(se) de rappeler aux gouvernants ce que tous ses confrères représentent sur le plan économique.
Des crises, qu’elles soient climatiques, sociales ou sanitaires, il y en aura d’autres et il faudra que la filière ait aussi sa grande gueule… comme chez les chefs de cuisine.
Philippe Toinard, rédacteur chef de 12°5.