Qui se souvient de ces propos du Prince de Ligne aristocrate, séducteur et savant qui lançait à ses amis « Tiens, voici des choses que je ne sais pas… Il faudra donc que j’en fasse un livre ! » Alice Feiring, en se lançant dans la rédaction de son dernier ouvrage « Skin Contact. Voyage aux origines du vin nu », a sans doute gardé un peu de cette ingénuité féconde, celle des vrais amateurs au sens anglo-saxon du mot. Mais c’est aussi l’ouvrage d’un auteur aguerri, spécialiste incontestable de la vino-sphère naturelle et mondiale.
Vins et identité géorgienne
Alice Feiring, au fil d’un texte très dense, foisonnant même, parfois au risque de la profusion, fait un récit de voyages, au pluriel, en brossant le tableau d’une nouvelle Géorgie viticole retournant à ses sources à travers le vin. Le vin que l’on produit depuis des millénaires sur cette terre généreuse, que les soviétiques avaient industrialisée est désormais l’enjeu d’une reconquête identitaire originale très bien amenée, même en filigrane, par l’auteur. Vins rouges dont on casse des pichets sur la tête des forts en gueules ou vins de macération que l’on élève en jarres et que l’on déguste quasi religieusement. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait au Lapin blanc en, ce début mai lors de la venue d’Alice Feiring à Paris. Mais jusqu’où la naturalité doit-elle aller ? Vaste question puisque l’un des vins, jugé délicieux par l’assistance, nous semblait floculé et oxydé bien au-delà du raisonnable… Mais qu’importe : la beauté est toujours dans l’œil du spectateur ! À noter aussi dans le texte : conseils de santé et recettes géorgiennes, of course…
L’objet : quand c’est pas pareil, c’est différent
L’ouvrage d’Alice Feiring est aussi un projet éditorial ambitieux et c’est la jeune maison Nouriturfu qui le publie. Si le texte nous parle de vins somme toute iconoclastes, la forme du livre n’est pas en reste : rabats mystérieux, police très serrée et couleur Bordeaux-lie de vin du texte pas toujours facile à lire pour les yeux vieillissants… Tout concours à transformer ce livre en un objet singulier que l’on range, à part, dans sa bibliothèque pour le déguster au fur et à mesure.
Et que reste t-il ?
Au bout du texte, si l’on brûle de découvrir les vins Géorgiens, on a peut-être plus encore l’envie de découvrir cette contrée que l’on devine ensoleillée, baroque, accueillante, sévère et douce à la fois. Pour ceux qui ont connu l’URSS et qui savent combien le rouleau compresseur soviétique a laminé les régionalismes, les particularismes (En Géorgie particulièrement, terre du triste Staline et de nombre de ses affidés), c’est un réconfort de voir cette région renaître, en partie du moins, pour retrouver partie de ses racines à travers le vin… Partagée entre aspirations atlantistes et l’influence de la très voisine Fédération de Russie, cette république chargée d’histoire se montre sous un nouveau visage et c’est là, un des grands mérites du livre d’Alice Feiring.