La cueillette des sanguins, champignons favoris dans le Midi, n’a pas eu lieu cette année. Une année sèche à crever, qui n’a laissé aucune chance à l’espèce – et aux autres.
Cette année a été triste pour les habitants du Midi. Pas de champignons. Pas du tout. Même pas des mauvais, même pas des toxiques. La faute ? La faute à pas de pluie. Dans ma petite ville située entre Nice et Cannes, il y a eu trois brèves averses entre février et novembre. Enfin, même pas. Une fois, c’était de la grêle. Puis en novembre, la neige est arrivée sur les hauteurs sans prévenir. Catastrophe.
Des champignons très discrets
Pas de champignons, donc. Et nos préférés, ce sont les sanguins. Leur cueillette est l’évènement saisonnier favori de beaucoup d’habitants du Sud-Est. Dès le mois d’octobre, on part dans les forêts sèches (mais point trop n’en faut), les collines et les montagnes au petit matin, et on se met en quête de ces champignons très discrets.
Les sanguins aiment bien pousser cachés. Ils n’ont pas un long pied, ils ont un chapeau légèrement concave au centre qui retient la terre, les feuilles et les aiguilles de pin, et leur teinte rousse leur permet de se camoufler à merveille parmi les feuillages d’automne. Généralement, le premier à en trouver un le montre aux autres, pour qu’ils “se fassent l’oeil”. Il faut bien regarder au pied des pins, où ils poussent parfois en cercle.
Les sanguins au vinaigre, une affaire de patience
Particulièrement ferme et dense – à un point rare dans le monde des champignons -, le sanguin véritable se coupe à la base, révélant une couleur rouge sang qui lui vaut son nom. À l’extérieur, il est plutôt saumon à orangé, et il s’oxyde en passant par toutes les nuances de vert et de bleu. Il peut être énorme – il n’est pas rare de ramasser des spécimens de 600 g et plus – ou minuscule – certains, parfaitement formés et mignons à croquer, font à peine la taille d’un bouton de veste.
Les sanguins demandent d’être patient. On ne les mange pas tout de suite, même si c’est tentant. Pour leur faire honneur, la recette commune dans tout le pays niçois et la Provence, ce sont les sanguins au vinaigre. Non, ils ne baignent pas dans le vinaigre, c’est trompeur comme nom… Ils sont cuits à sec, afin qu’ils rendent leur eau, cuits à nouveau au vinaigre d’alcool et aux aromates, puis séchés quelques jours et conservés dans l’huile. Pas d’olive, bien sûr, mais de tournesol. L’huile d’olive rancit très vite, c’est tout sauf une bonne idée de l’utiliser en conserve.
Précieuse dégustation
Et là, on attend. Au moins un mois, mais souvent beaucoup plus, il se passe plein de choses dans ce bocal. Les arômes se révèlent doucement, se mêlent, se parlent, et changent complètement avec le temps. Quand on a su être patient, on ouvre la conserve, on pioche les champignons devenus bruns dans l’huile teintée de rouge, on mange ça avec un peu de pain.
Tous les gens du Midi voient de quoi je parle : c’est un moment émouvant, touchant, merveilleux, quand on s’attable pour déguster précieusement les sanguins. C’est d’une importance capitale, à la fois sur le plan personnel, familial, temporel, et quel délice… Alors, des années pourries, ça arrive. Mais des automnes sans sanguins, sans aucun sanguin, c’est d’une tristesse infinie.