Dans la ligne éditoriale de notre Gazette, on n’avait pas forcément prévu un article sur l’Oustau de Baumanière, cette hôtellerie 5 étoiles des Baux de Provence qui accueillit autrefois le président américain Truman ou la Reine mère Elizabeth d’Angleterre.
Seulement voilà, il y a 5 ans, le propriétaire, Jean-André Charial, confie les rênes de son restaurant doublement étoilé à un jeune chef hors du commun, Glenn Viel, avec pour mission d’y insuffler une nouvelle dynamique. Devant l’immensité du travail accompli et les projets qui fusent dans tous les sens, nous sommes tombés à la renverse. Découverte.
Priorité au recyclage
Après avoir fait ses armes dans des palaces comme Le Strato et Le Cheval Blanc à Courchevel, Glenn Viel avait besoin de changer d’air. Avec ce poste à pourvoir à L’Oustau, l’opportunité s’est présentée, non seulement de donner libre cours à son imagination en cuisine, mais aussi de modeler un domaine à sa guise et mettre en pratique des idéaux sociaux, raisonnés et vertueux.
« Ce qui me plait ici, c’est que tout est essentiel, il y a la touche de l’homme dans le paysage, mais pas trop, il y a une âme, une vérité, l’endroit est magique » nous dit-il au milieu des jardins de l’Oustau, en pleine nature, dans ces Alpilles paisibles.
Cette nature, il a d’abord voulu la préserver en recyclant les déchets verts du restaurant. A son arrivée, deux énormes composteurs ont été aménagés sur mesure pour produire l’engrais qui sert à l’extension du potager.
200 pieds de tomates sont venus compléter le jardin, ainsi qu’un millier d’asperges. Il a fallu défricher, planter un verger de 50 arbres fruitiers, 200 fraisiers de plus, des haies de framboisiers, créer le champ de lavandes où sont posées les ruches… avant de construire la ferme.
Star Pigs
Ce que je veux, c’est donner une seconde vie à l’alimentation, supprimer les poubelles.
La devise est claire et c’est là qu’interviennent les animaux.
« Salut les copains ! » lance Glenn en direction d’un champ grillagé. À ma gauche, une poule attaque une cucurbitacée à coup de bec alors que 2 cochons joyeux se ruent sur nous. Les « copains » sont là pour terminer le recyclage. En dehors de ce qui part au compost, tous les restes du restaurant leur sont réservés. Leur nourriture préférée, c’est le vieux pain trempé dans le petit lait qui provient de la fabrication du beurre. Ces restes étaient un casse-tête pour le restaurateur. Pas si facile d’éliminer les déchets quand on tient à fabriquer son beurre à partir du lait du village voisin, et qu’on pétrit 7 ou 8 variétés de pain dans le cadre d’un inédit menu « accord mets et pains ».
Il ne fait aucun doute qu’avec 4000 mètres carrés d’espace au milieu des pins méditerranéens et nourris des restes estampillés de deux macarons Michelin, les « star pigs » sont heureux. Pourtant, «on n’est qu’au début du process’… » nous glisse Glenn, sérieux.
Les projets de l’Oustau
Car demain, l’Oustau de Baumanière, ce sera peut-être une pisciculture. « Il y a une grotte là-haut, assez grande pour y remplir un bassin, on pourrait amener l’eau facilement et nous aurions nos truites ». Glenn s’est déjà équipé d’un fumoir pour transformer le poisson, mais rêve d’aller un cran plus loin.
Il prévoit la commande d’un séchoir pour les herbes afin de réaliser le « thé » de l’Oustau, l’infusion fétiche de la maison. Les tomates ne renient pas la démarche. Elles ont déjà subi un sort similaire : bien élevées au jardin, elles sont déshydratées lentement au soleil de Provence dans un séchoir sur mesure de 4 mètres 50.
Il n’y a pas photo entre les tomates passées au four et les nôtres qui sèchent et continuent à mûrir dehors, à l’ancienne.
Glenn prévoit aussi l’arrivée prochaine de chèvres et de pigeons qui complèteront la ferme pédagogique dédiée aux écoles alentours et serviront ainsi à la promotion du « mieux manger ». « Les animaux, c’est thérapeutique, on va installer 4 hamacs à côté ». Voilà déjà dessinée la salle de repos des commis, autorisés à faire la sieste en pleine nature et à rentrer chez eux avec des œufs frais.
Seront également plantées des variétés anciennes de blés pour les pains maison…et le cuisinier de conclure, enfin : « Jean André Charial est un Grand Monsieur, mais à mon arrivée il y avait beaucoup de terrain en friche. C’est à nous de faire ça maintenant et de prendre la relève, ici le « spot » est tellement dingue qu’on se doit d’aller au bout de nos idées ».
Fédérer les artisans
Glenn tient aussi à valoriser et fédérer les artisans locaux. Il nous mène alors Chez Alban Gaillard, à quelques kilomètres de l’Oustau, pour assister au soufflage. Ce maître verrier est installé en bord de route à Saint-Rémy de Provence, occupe un hangar qui lui sert d’atelier. Au fond de la pièce, le four diffuse une lueur de lave et devant nous éclatent les couleurs de ses réalisations. C’est ici que l’Oustau commande verres, carafes, assiettes ou objets de décoration sur mesure, fruits de l’imagination du Chef et du savoir-faire du souffleur. Les deux compères fonctionnent en symbiose, de l’un jaillit l’idée d’un plat, l’autre conçoit le contenant idoine.
Glenn voudrait installer le verrier, ainsi qu’un artisan potier directement à demeure, à Baumanière. Un bâtiment est en cours d’aménagement, ils viendront y travailler quelques jours par mois, non seulement pour mieux se faire connaître du public, mais surtout pour être libres d’échanger toute la journée avec le restaurant. « On a mis un an et demi à concevoir nos nouveaux huiliers, un an et demi à faire des essais pour trouver le système au bout duquel l’huile ne goutte pas… ». Il est certain que sur place, la recherche ira plus vite, tout le monde sera gagnant.
Einstein et Hugo avaient raison. « L’imagination vous mènera où vous voulez » écrivait l’un. L’autre, trouva un jour cette tirade qui caractérise bien le plus breton des meilleurs chefs provençaux :
« la raison, c’est l’intelligence en exercice,
l’imagination, c’est l’intelligence en érection ».
En ce moment, à Baumanière, on jouit.