À l’Oustau de Baumanière, Glenn Viel : revenir en arrière

Glenn Viel Oustau de baumanière
Glenn Viel et son chef pâtissier, Brandon Dehan, en grande discussion autour d’une idée de dressage d’un futur dessert.© 180°C - Éric Fénot

De commis au Meurice, à Paris, à chef exécutif au Cheval Blanc, à Courchevel, en passant par le Plaza Athénée et le Hyatt Madeleine, à Paris, Péron, à Marseille, ou La Caravelle, à Bonifacio, Glenn Viel ne s’est jamais posé de questions écologiques sur son métier. Pas le temps, pas d’implication personnelle, pas de prise de conscience… Jusqu’à ce qu’il arrive au paradis du Val d’Enfer aux Baux-de-Provence.

En ce mois d’avril 2019, de gros nuages blancs moutonnent au-dessus du village des Baux-de-Provence perché à 245 mètres sur un plateau rocheux au cœur des Alpilles. Au petit matin, les ruelles, exclusivement piétonnes, ne sont pas encore prises d’assaut par les touristes venus du monde entier admirer les ruines du château médiéval ou les façades Renaissance de certaines maisons. En contrebas, dans le Val d’Enfer, Baumanière, acquis en 1943 par Raymond Thuilier qui transformera au fil des années ce mas provençal en un hôtel-restaurant luxueux dont la table, L’Oustau de Baumanière, décrochera 3 étoiles au guide Michelin en 1954. En 1969, l’actuel propriétaire, Jean-André Charial, petit-fils de Raymond Thuilier entre dans la danse et n’aura de cesse de faire croître cet établissement et d’y accueillir les grands de ce monde.

Le chef est dans le potager
Aujourd’hui, Baumanière, ce sont des chambres réparties dans différentes bâtisses sur plusieurs hectares, deux restaurants, des piscines, des vergers, des champs, des jardins et des potagers. C’est dans l’un d’eux que l’on retrouve Glenn Viel, le chef de cuisine de L’Oustau depuis 2015, 2 étoiles Michelin : « Tous les jours, je viens dans ce potager désherber à la main, ça me détend. Je le fais pendant une vingtaine de minutes et après je rejoins mes équipes en cuisine. »

Glenn Viel Oustau de baumanière
Tout autour de l’hôtel et des deux restaurants, différentes parcelles, des serres, des arbres fruitiers et des jardins d’aromatiques. – © 180°C – Éric Fénot

Le potager en question est celui du personnel. Travaillé en permaculture, il permet de fournir, pour le moment, une petite partie des légumes pour les repas de la brigade. On y trouve un peu de tout, des asperges, des oignons sauvages, des framboisiers. Entre deux arbres, un hamac, pour la sieste entre deux services. Un peu plus loin, un poulailler avec quelques races de poules anciennes, des ruches qui vont bientôt rejoindre la grotte qui surplombe le potager et, dans un enclos, deux cochons, un de race duroc et un gascon. Le chef justifie leur présence : « On tend vers le zéro déchet, on les nourrit donc avec une partie des restes, ça réduit le nombre de poubelles, l’utilisation de sacs plastique et ça vient en complément du broyeur-déshydrateur que l’on a au restaurant qui permet de générer notre propre engrais avec d’autres déchets… et puis un jour, ça fera du bon saucisson. » À peine a-t-il fini sa phrase que Glenn est déjà reparti dans le verger voisin dans lequel il a fait planter 54 arbres fruitiers – cerisiers, abricotiers, pruniers – pour les confitures maison et pour que son chef pâtissier, Brandon Dehan, s’éclate.

Glenn Viel Oustau de baumanière
À côté du jardin test, des ruches, transférées depuis dans une grotte derrière le restaurant, des cochons pour la gestion des déchets. – © 180°C – Éric Fénot

6 hectares de terrain de jeu
« Je n’ai évidemment pas connu M. Raymond Thuilier mais j’imagine que, quand il est arrivé ici en 1943, il y avait un côté sauvage avec des animaux, des champs, des friches, des jardins. C’est ce que je veux retrouver aujourd’hui en accord avec Jean-André. On va refaire ce qui se faisait ici historiquement. En somme, on va revenir en arrière. » Le terrain de jeu du chef est immense et réparti sur plusieurs hectares sans compter les vignes et les champs d’oliviers. Les parcelles sont disséminées un peu partout sur le domaine et les cultures gérées soit par des scouts, soit par des jardiniers extérieurs. Mais, à terme, l’idée est d’embaucher à plein temps. Sur la route, Glenn fait des pauses pour détailler : « Ici, on va faire pousser 500 pieds d’artichaut, là-bas, dans ce champ, ce sera du blé. » Au niveau de La Cabro, la seconde table de Baumanière dirigée par Michel Hulin, dix-huit ans de maison, des serres pour les petits pois dont il s’empiffre : « On les sert nature. On tamise pour ne garder que les petits et, dans l’assiette, on crée un match. Face à face, un caviar de la maison Kaviari et un caviar de petits pois. C’est tout. Comme dirait mon pote Julien Allano, au Clair de la Plume, à Grignan, ça défrise un caniche. »

Un peu plus loin, du pourpier sauvage, de l’oxalys, du thym, du romarin, des tomates, de la verveine, de la citronnelle, des aubergines, des poivrons et plus de bâches plastique. Glenn a briefé les jardiniers, il veut de la paille à la place, « parce que les bâches, même quand tu les enlèves, il reste toujours des petits morceaux qui restent dans la terre et, la nature, elle n’en veut plus de ces saloperies ». À la question, « est-ce rentable d’avoir son potager ? » la réponse fuse : « Pas du tout, surtout qu’une partie des récoltes est offerte aux clients sous forme de panier-légumes avec la recette de la ratatouille à faire soi-même à la maison, mais avec le temps, ça le deviendra. Pour le moment, ce qui est très valorisant, c’est de créer des assiettes en fonction de ce que la nature nous apporte, et puis on suit mieux les saisons, qui sont plus longues sur les étals d’un primeur que dans la vraie vie d’un jardin. »

Glenn Viel Oustau de baumanière
Glenn ne se contente pas de travailler avec des producteurs locaux. Il souhaite aussi intégrer dans son restaurant le travail d’artisans comme Alban Gaillard, souffleur de verre à Saint-Rémy-de-Provence – © 180°C – Éric Fénot

Traduction dans l’assiette
On retrouve Glenn Vieldans sa cuisine en train de creuser l’intérieur d’une grosse asperge verte pour y glisser une plus petite. La première est en sur-cuisson, la seconde en sous-cuisson. Le chef appelle ça, pour le moment, la main de fer dans un gant de velours. Son credo, c’est de poursuivre l’œuvre de Jean-André Charial qui a créé le menu « tout légumes », il y a vingt-cinq ans de cela. « Il était en avance sur son temps, mais, en attendant, ça reste l’un des menus phares de la maison. » Au programme, betterave flétrie, coriandre ; compression de racines laquée d’un crémeux citron, zestes d’orange ; la vision de la carotte en salé ; le céleri rôti un peu comme un ananas, gel de pomme verte ; le champignon, crémeux au café, émulsion de blé ; la vision de la carotte en sucré. Des plats présentés dans des contenants dont il confie la réalisation à des artisans locaux, Cécile Cayrol, céramiste, ou Alban Gaillard, souffleur de verre. « Il faut être logique jusqu’au bout. Si les produits viennent du jardin, il faut qu’ils soient mis en valeur dans des assiettes réalisées ici. Pourquoi faire venir des assiettes de l’autre bout de la France quand on a des artistes sous la main.

C’est pareil pour le pain, pourquoi irai-je acheter chez un boulanger quand j’en ai un dans la maison qui travaille au levain naturel et qui est pétri de talent ? » Glenn est ainsi, entier dans sa démarche. Il n’est pas fils de gendarme pour rien. Et même si les cheveux longs et la barbe sont comme un acte de rébellion par rapport au paternel, il n’en garde pas moins de lui le sens du détail, la méticulosité, la maniaquerie. Ça fait sourire la brigade de le voir tout le temps ranger, remettre à sa place une tasse, un torchon, une cuillère. De l’aveu de ses proches adjoints, quand il fait ça, on est certain que c’est sa façon à lui de réfléchir en même temps à des créations. Effectivement, on imagine mal Glenn assis à son bureau en train d’élaborer l’assiette d’une prochaine carte. Quand il réfléchit, il faut qu’il soit dans l’action, alors il range avant de revenir en cuisine pour se mettre dans un coin et faire des essais pour réussir un plat convaincant, qui, selon lui, se compose de 50 % de goût, 25 % de texture, 15 % de psychologie et 10 % de hasard. Le hasard fait bien les choses, parce que l’homme, le lieu, la cuisine, la générosité, la cohérence, tout, ici, est convaincant.

À l'Oustau de Baumanière, Glenn Viel : revenir en arrière

L’OUSTAU DE BAUMANIÈRE
13520 Les-Baux-de-Provence
Tél. : 04 90 54 33 07 // www.baumaniere.com

 Reportage extrait de notre livre Les Incontournables 

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