Hervé Bourdon, chef du Petit hôtel du grand large : le jardin, une nécessité, pas un choix

Lorsqu’il crée son premier potager en permaculture en 2012, à 5 minutes à pied du restaurant, Hervé Bourdon le fait non pas pour être en autonomie, mais pour avoir à disposition quelques légumes, des plantes aromatiques et des fleurs comestibles. Un an plus tard, il voit plus grand en trouvant non loin une deuxième parcelle, sans point d’eau Hervé aurait pu s’arrêter là. C’est mal connaître ce chef tatoué ! Entre 2016 et 2017, il en déniche une troisième de près de 2 600 mètres carrés, sur un sol plus humide. Trop pour un seul homme : « Entre l’entretien, la main d’oeuvre, le temps passé, l’achat des graines, le recyclage des déchets verts, le nettoyage… le jardin d’un restaurant, ce n’est pas rentable. » Mais ce qui guide le chef, c’est la qualité organoleptique des fruits et des légumes.

« Les clients, quand ils s’assoient chez nous, ils nous confient leur palais, leur corps. On ne peut pas plaisanter avec ça. On se doit de leur fournir le meilleur, le sain, le bio. » Il a depuis peu trouvé la perle rare en la personne de Rory, qui a pris en main ses différentes parcelles moyennant un contrat à durée indéterminée. Rory est arrivé sur ce bout de presqu’île grâce à sa fiancée, Amélie, la fille d’Alain Pichonnet qui fournit les Bourdon en lait, fromages, crème, yaourts… produits sur la commune d’Erdeven à la ferme du Champ du trèfle, à une petite quinzaine de kilomètres du restaurant. Rory, le British, a sillonné le monde comme il vogue en paddle au large du port de Portivy… avec aisance.

hervé bourdon
Le yaourt basilic cannelle du chef Hervé Bourdon – © 180°C – Éric Fénot

Partout où il est passé, il a proposé ses services en pratiquant le wwoofing, un concept de voyage solidaire, économique et écologique, qui consiste à donner de son temps à des agriculteurs bio contre le gîte et le couvert. À ces neuf années passées autour du globe Rory a ajouté un travail, douze mois dans une ferme du sud-ouest de l’Angleterre. Son arrivée à Erdeven en février 2019 a soulagé Hervé :

Il fait ce qu’il veut. C’est lui qui sème, et moi, j’adapte ma cuisine à ce qu’il m’apporte.

Sa présence a été un vrai bouleversement pour la créativité culinaire du chef. Hervé savait qu’il avait envie d’aller vers plus de végétal, mais, avec un jardinier à son côté, les choses se sont accélérées et, dès le printemps, il a opéré un virage dans le déroulé des repas en mettant davantage l’accent sur le contenu des différentes parcelles. Dans la première, l’historique, Rory a recentré les plantations sur les herbes aromatiques et les fleurs avec notamment de la bourrache blanche, du curcuma, de la mélisse, de la sarriette, de l’estragon du Mexique, de la tanaisie ou des capucines qu’Hervé farcira d’un caillé de petit-lait de vache mélangé à d’autres herbes.

hervé bourdon
Depuis 2019, Rory Longton est devenu le jardinier en chef de Catherine et Hervé. Le chef calque désormais ses menus en fonction de ce que Rory fait pousser et récolte.- © 180°C – Éric Fénot

Dans la deuxième, et malgré l’absence de point d’eau, poussent allègrement des blettes, des courgettes, des carottes, des betteraves, des radis, des fèves et différents choux. Et quand la parcelle donne trop et qu’Hervé ne peut pas suivre, il les passe en lacto-fermentation, une méthode de conservation vieille comme le monde à partir de sel marin, non raffiné de préférence, d’eau de source et d’un bocal propre et hermétique. Le tout préservant parfaitement les qualités intrinsèques des légumes. Dans la troisième parcelle, Rory s’est lancé dans les tomates – 400 pieds – issues de 14 variétés différentes, le soja, le maïs, les poivrons, les panais, les groseilliers et les framboisiers, même si, pour le moment, le résultat n’est pas probant. Et quand on croit qu’il n’y en a plus, il y en a encore. Hervé et Catherine se sont mis en tête de faire pousser des agrumes… en Bretagne.

Hervé Bourdon, chef du Petit hôtel du grand large : le jardin, une nécessité, pas un choix
Catherine et Hervé dans la parcelle des agrumes. Un jour viendra, il y aura des clémentines et des citrons en Bretagne. – © 180°C – Éric Fénot

Dans une quatrième parcelle, ils ont planté avec l’aide de Michel Bachès, pépiniériste et spécialiste des agrumes, une série de citrons Meyer, de citrons caviar, de yuzus, de pamplemousses, d’oranges, de mandarines et de clémentines. La solution la plus simple aurait été de les récolter là-bas et de les faire venir du pays de Michel Bachès, à Eus, dans les Pyrénées-Orientales, mais leur conscience environnementale les pousse à ne plus faire parcourir des centaines de kilomètres aux produits : « Soit on s’en passe, soit on essaie de les faire pousser chez nous », répond en choeur le couple.

ET DEMAIN, LA VIGNE

« C’est ici ! » Face à nous, au pied de la tour de Locmaria, une lande remplie de fougères. Si, à l’avenir, avec le réchauffement climatique, sait-on jamais, les agrumes poussent en Bretagne, pourquoi pas la vigne ? C’est Catherine qui a poussé la réflexion en se penchant sur l’histoire du département : « Il y a eu des vignes dans le Morbihan, autour de 600 hectares. » Elle a donc trouvé de nouvelles parcelles en plus de la lande, pas très loin des agrumes, et y a fait pousser de l’avoine qui permet de restructurer les sols. Dans deux ans logiquement, elle pourra passer à la vitesse supérieure et planter ses premiers plants de vigne, du melon de Bourgogne. À deux heures de route, les premières vignes de muscadet issu de ce même cépage : « Il n’y a pas de raison qu’il ne se plaise pas ici alors qu’il s’est parfaitement acclimaté dans le Pays nantais. » À boire avec un merlan et quelques blettes passées au teppanyaki ? La réponse d’Hervé ne se fait pas attendre :

Dans deux ans, je ne proposerai peut-être plus de poisson.

L’homme est en constante réflexion. Comme il aime à le souligner, arrêter la viande, c’est facile car c’est de l’élevage. Continuer à pomper dans les réserves naturelles l’interroge. C’est un véritable cas de conscience, mais ce n’est pas pour demain, car il aura toujours à son côté d’excellents pêcheurs qui auront à coeur de ne lui proposer que des poissons exceptionnels. Et ceux-là, pour le moment, il ne peut pas s’en passer.

© 180°C – Texte Philippe Toinard / Photographies Éric Fénot

 

Hervé Bourdon, chef du Petit hôtel du grand large : le jardin, une nécessité, pas un choix

LE PETIT HÔTEL DU GRAND LARGE
11, quai Saint-Ivy – Portivy
56510 Saint-Pierre-Quiberon
Tel: 02 97 30 91 61

 Reportage extrait de notre livre Les Incontournables 

Hervé Bourdon, chef du Petit hôtel du grand large : le jardin, une nécessité, pas un choix

Plus d'articles de Philippe Toinard

Champignon en fin de carrière

Il est loin le temps où l’agaricus bisporus, plus connu sous le...
Read More