Numéro deux du 2 Etoiles Les Hauts de Loire pendant trois décennies, Dominique Pépin a succédé en octobre 2020 à Rémy Giraud, parti à la retraite, à la tête du prestigieux restaurant ligérien. Ce natif de la région se fait fort de sublimer la gastronomie de son terroir, avec maestria et créativité.
« J’imagine les recettes avant de les réaliser », confie Dominique Pépin en nous dévoilant ses croquis, qui sont autant de documents de travail à destination de ses brigades. Le trait de crayon est aussi net et précis qu’une belle découpe bouchère. En haut de la feuille est présenté le plat, idéalement agencé de la façon dont le chef visualise la future assiette (triptyque de homard : raviole/pince/queue). En dessous figurent les ingrédients, listés et proportionnés d’une écriture fine, ronde et légèrement penchée vers la droite (pâte à raviole : 100 gr de chair de langoustine ½ blanc d’œuf, 1 dl de lait. Mixer le tout. A la fin, sel–poivre). Par devers-lui, le journaliste relève prosaïquement la présence d’un demi blanc d’œuf, et n’ose demander au Chef comment diantre peut se quantifier une demie mesure d’un liquide translucide ayant pour agaçante propriété physique d’onduler sans prévenir. Et puis le même journaliste réalise – non sans exaltation – que contempler de telles esquisses de recettes, promesses de prochaines symphonies gastronomiques, équivaut à peu près à se voir convié dans l’atelier de quelque compositeur viennois du 18e siècle afin de jeter un œil sur ses partitions ! Et là, cette vérité le terrasse : rarement les similitudes, les parallèles et les correspondances entre les deux métiers de direction artistique que sont celui de Chef d’orchestre et celui de Chef cuisinier ne s’incarneront autant que dans cette édifiante série de croquis.
Il est vrai qu’à ses heures jamais perdues, Dominique Pépin, chef des Hauts de Loire et digne successeur de Rémy Giraud, pratique la peinture à l’huile. Diplômé de l’école hôtelière de Blois, Dominique est un enfant du pays. Dès 1985, il a été sollicité par les Hauts de Loire. Le restaurant avait été fondé quelques années plus tôt par Pierre-Alain et Marie-Noëlle Bonnigal, dans un ancien relais de chasse du 19e siècle. « A mon arrivée, précise Dominique, le chef était Gérard Humel, et les Hauts de Loire ne détenait qu’une étoile. J’ai suivi la hiérarchie classique d’une brigade, jusqu’à devenir sous-chef en 1996 ». Ses yeux roulent dans son visage débonnaire. Pendant trente-cinq ans, Dominique a donc travaillé avec Rémy, avant de tout naturellement reprendre le flambeau – et le fourneau – en octobre 2020 de cet hôtel du Val de Loire.
Les clients aiment cette continuité des équipes, ils disent souvent qu’ici, il y a une âme.
La période est, certes, un tantinet compliquée pour une passation de pouvoir, entre vagues pandémiques et confinements. Mais les Hauts de Loire sont quasiment revenus à la normalité, avec un taux de fréquentation de 70% en juin et de 93% en août. Et ce, malgré la quasi absence des touristes étrangers, qui d’ordinaire représentent les deux tiers de la clientèle. « Les frontières fermées, les Français se sont de nouveau intéressés à leur patrimoine », remarque le Chef.
Un succès guère surprenant, tant n’est plus à faire la réputation de l’établissement, niché au milieu d’un parc de 70 hectares et sied à cinq kilomètres au nord du plus grand fleuve de France et de son chapelet de châteaux. Les Hauts de Loire représentent une base arrière idéale pour une double exploration, un circuit autour des Châteaux de la Loire et une escale gastronomique. Les poissons sont apportés par Philippe Boisneau, « un des rares pêcheurs ligériens autorisés » précise Dominique. L’alose (« un migrateur que l’on retrouve vers fin avril et mai »), le brochet, la carpe, le mulet… « Nous les travaillons depuis plus de vingt ans. Rémy (Giraud) était lui-même pêcheur. L’anguille est l’un de nos plats emblématique. Pour la lever correctement, on passe le couteau entre la peau, le gras et la chair. Il faut trouver le bon geste afin de laisser un peu de gras, mais pas trop. Elle est ensuite pochée au beurre clarifié ». L’établissement propose également du caviar de Sologne, avec des esturgeons élevés en pisciculture (voir 180°C numéro 24, été 2021).
Les poissons du bassin sont tués Ikejime.
Cette méthode d’abattage japonaise ancestrale, plébiscitée par moult chefs, consiste à neutraliser d’un coup de stylet le système nerveux central du poisson, ce qui lui épargne un maximum de stress et de souffrance, au grand bénéfice de la préservation de ses saveurs. « Ensuite, un fil est passé le long de la moelle épinière afin de retirer les toxines. On le fait maturer un peu, la chair est beaucoup plus agréable et encore plus goûteuse. Il est servi avec un blanc-manger de langoustines ou bien des ‘’haricots riz’’ comtesse de Chambord. Ah ça, je dois être le seul à préparer cette variété régionale de haricot, que j’ai découvert par curiosité ! Rémy était un passionné de légumes, j’ai suivi son exemple ».
Le gibier est aussi à l’honneur, le domaine étant niché au cœur d’un des terroirs les plus giboyeux de France. « Les chevreuils ont pris leurs aises avec le confinement », sourit Dominique. « Ils viennent au matin gambader sur les pelouses du parc, sous les fenêtres des chambres de l’hôtel ». Précisons que ces adorables et graciles visiteurs de l’aube ne sont, évidemment, pas destinés aux cuisines ! « Nous travaillons avec des fournisseurs de gibier locaux, détaille Dominique. Lièvre poêlé à la royale, sanglier, col-vert… En accompagnement, tout un ensemble de champignons : cèpes, giroles et craterelles » La craterelle est l’homonyme plus engageant des succulentes et fort mal nommées trompettes de la mort. « J’aime beaucoup marcher, et je suis un chasseur… de champignons ! On travaille aussi le marcassin, avec une marinade cuite au vin rouge et une cardamone noire ». Une cardamone noire ? « La verte est plus courante, la noire, méconnue, permet l’élaboration d’une sauce intéressante ».
Depuis une dizaine d’années, les Hauts de Loire propose également « un menu végétal » : « Il y a une demande, cela fonctionne très bien et cela apporte de la légèreté » Fruits et légumes proviennent du potager du domaine comme de producteurs locaux. « Nous faisons notre sélection chez un grainetier bio de la Sarthe, puis on les fait planter dans l’ESAT (établissement et service d’aide par le travail) du domaine Saint-Gilles Pontlevoy, avant de récupérer les plants et de les mettre au potager », ajoute Dominique, qui précise : « La terre de notre potager est très souple, du fait de la proximité de la Loire. Mais on ne peut pas tout avoir dans le potager, en variété et en quantité, donc on travaille aussi avec des maraîchers bio locaux, comme par exemple Philippe Marpault, qui nous fournit en asperges blanches, en melons et en courgettes. « On a ainsi les asperges en croûte feuilletée avec la truffe d’été de Touraine, qui apporte de la saisonnalité à ce plat ».
« Comment je définirais ma cuisine ? Sincère, sur une base classique », conclut Dominique Pépin. « Je fais appel à mon imagination pour associer des goûts : on mange un premier ingrédient, on pense à un autre qui s’associe avec. Et là on se dit que tel produit irait bien avec le premier, puisqu’il va bien avec le deuxième ! Par exemple, l’hibiscus, le pamplemousse et les feuilles de géranium ». Il suffisait d’y penser : sur le papier, cela paraît simple, certes… Tout comme peuvent paraître simple les notes écrites sur une partition de musique. Jusqu’à ce qu’un chef d’orchestre les sublime.