Des pâtes, … Oui mais bio et artisanales

Désireux de se diversifier et trouver de nouveaux débouchés sources de revenus, de nombreux agriculteurs céréaliers ou aviculteurs, partout en France, se lancent dans la fabrication de pâtes artisanales. Seulement, cette production n’est pas l’apanage du monde agricole, minotiers et meuniers se lancent aussi dans l’aventure.

Des pâtes, ... Oui mais bio et artisanales

La passion de Matthieu Blin ? Le cheval. Rien à voir avec la farine et encore moins avec les pâtes. Titulaire d’un BEPA (Brevet d’étude professionnelle agricole), il enchaîne par un Bac Pro Élevage du Cheval à Laval avant de tenter de décrocher un BTS en analyse et conduite d’un système d’exploitation agricole. À l’époque, son rêve, devenir éleveur de chevaux. Il se rend même en Irlande pendant un an dans un élevage pour se perfectionner. À son retour, son rêve est intact mais la mise en application localement est plus compliquée. Il se tourne alors vers Jacques, son oncle minotier qui réfléchit à passer la main après avoir succédé à Bernard, le grand-père de Matthieu et Victor, l’arrière grand-père. Chez les Blin, on est minotier depuis 1848. En 2006, Matthieu fait son entrée au moulin et décide de s’associer en 2010 avec son cousin Stéphane pour reprendre l’activité non sans avoir obtenu un certificat de qualification professionnelle. Quelques années plus tard, Matthieu rachète les parts de Stéphane et se lance fin 2015 dans la production de pâtes artisanales bios.

Au bord de la Mayenne
Lorsque l’on arrive au moulin de la Grande Bavouze au bord de cette rivière qui prend sa source dans l’Orne, ce n’est pas tant le bruit des machines qui interpelle mais celui lancinant des deux roues à aubes. La petite située au cœur du moulin comme la grande installée sur l’aile donnant sur la rivière, ont été arrêtées pendant près de 30 ans, le moulin, étant passé à l’électricité et au moteur diesel. Quand Matthieu le reprend, c’était le dernier en activité le long de la Mayenne contre une cinquantaine il y a 40 ans, il s’attache à remettre les roues en marche non pas pour entrainer le mécanisme qui permet de faire tourner les meules de pierre mais pour produire de l’électricité « aujourd’hui, ce que l’on produit grâce aux roues à aubes correspond ce que l’on consomme » précise le minotier. Mais le chemin pour relancer ces roues fut semé d’embûches. Pour être autorisé, il faut retrouver aux Archives Départementales l’existence d’un droit d’eau établi avant la Révolution de 1789. Une fois ce titre retrouvé et authentifié, il restait à Matthieu à obtenir auprès de la Direction Départementale des Territoires l’accord d’exercer le droit d’eau ce qui lui a permis de faire tourner les roues en 2016 pour dit-il « que le moulin ressemble vraiment à un moulin ».

Bio et local
Dans les années 1980, Jacques, l’oncle de Matthieu réalisait 80 % de son chiffre d’affaires à partir de céréales issues de l’agriculture conventionnelle. Conscient de l’impérative nécessité de défendre une agriculture biologique, il lance une fabrication de farine de blé biologique en 1981 qui donnera naissance deux ans plus tard au dépôt de la marque Fromenbio. Aujourd’hui, Matthieu a totalement inversé la tendance. Son chiffre d’affaires en bio est de 85 % et il a poussé sa traçabilité jusqu’à afficher sur chaque paquet de farine ou de pâtes, la photo et les coordonnées de l’agriculteur qui lui fournit la matière première. Mais attention, à la minoterie, hors de question de mélanger les céréales. Blé, épeautre et seigle sont traités agriculteur par agriculteur. Initié par son oncle, l’approvisionnement se fait localement et en direct. Matthieu s’appuie sur une vingtaine de producteurs de la Mayenne et des départements limitrophes engagés auprès de Bio Cohérence, une marque de filière portée par des producteurs, des transformateurs et des distributeurs qui garantit des produits bio répondant à des critères plus exigeants que le règlement bio européen. Pour Matthieu :

Produire bio ne se résume pas à un cahier des charges européen qui fait la part belle à une agriculture bio intensive et à des méthodes de transformation calquées sur le circuit conventionnel.

Il ne faut surtout pas tomber dans le bio bas de gamme. Il faut au contraire s’entourer de professionnels désireux de défendre une production bio saine, locale et à taille humaine ». Ce jour-là, il est allé chercher dix tonnes de blé tendre (connu aussi sous le nom de froment) chez Christophe Géré à Saulges qui collabore avec le moulin depuis 1998, « je ne travaille pas de blé dur qui est destiné à être transformé en semoule. Le blé tendre de variété renan est donc la matière première du moulin mais il doit entrer dans la catégorie des panifiables car les blés tendres ne sont pas tous destinés à produire la même farine. Fort, il servira pour la fabrication des biscottes, très tendre, ce sera pour les biscuits. Le juste milieu, c’est le panifiable qui sert aux boulangers ou à la production de mes pâtes ». Aujourd’hui, Matthieu produit chaque année, environ 700 tonnes de farine de blé, 20 d’épeautre non hybridé et 6 de seigle, destinées à une dizaine de boulangers, à un grossiste qui les écoule essentiellement en Bretagne et enfin, dans des épiceries ou des magasins de distribution alimentaire bio.

De la farine aux pâtes
Avant de fabriquer des pâtes, encore faut-il produire de la farine. Dans l’imaginaire des consommateurs, la farine s’obtient, notamment dans un moulin, en écrasant longuement les grains d’une céréale. C’est en réalité beaucoup plus complexe que cela et si les minotiers effectuent moins d’opérations manuelles qu’autrefois, il n’en reste pas moins que le travail est considérable et les étapes nombreuses entre la livraison du grain de blé et le conditionnement de la farine en sacs ou la transformation en pâtes. Dans un premier temps et sans entrer dans le détail des types de farines souhaités (T45, 65, 80, 110…etc…), il est impératif de nettoyer la matière première en veillant à ôter toutes les impuretés possibles à travers des grilles ou des filtres séparateurs. Il faut ensuite mouiller la céréale pour permettre à l’amande de se séparer de l’enveloppe avant de la laisser au repos et la sécher. À l’issue de ce temps de repos de plusieurs heures, il faut broyer une première fois pour ouvrir le grain. Le second broyage appelé le claquage va permettre d’extraire un maximum de farine avant le convertisseur qui lui aplatit ce qui reste de produit. L’une des dernières étapes, est le passage dans le plansichter, un appareil composé de plusieurs tamis de tailles et de maillages différents. La farine est née et tout ce qui n’en est pas, est majoritairement destiné à l’alimentation animale.

Farine et eau
Lorsque Matthieu et Caroline son épouse, qui gère l’accueil au moulin, le suivi des ventes et l’administratif, se posent la question de diversifier les sources de revenus, ils pensent dans un premier temps à fabriquer leur propre pain mais soucieux de ne pas concurrencer une partie de leurs clients boulangers, ils abandonnent l’idée. La reflexion se porte ensuite sur la confection de biscuits et de gâteaux sans grand enthousiasme. Il reste alors les pâtes aux œufs ou les pâtes sèches. Les premiers essais menés avec les œufs ne sont pas convaincants. Le plus simple est donc d’opter pour les pâtes sèches fabriquées avec les différentes farines du moulin, blanche, semi-complète et complète à partir de blé tendre qui casse moins à l’ensachage, semi-complète à partir du grand épeautre et enfin, farine complète avec du petit épeautre. Dans une partie du moulin, ils aménagent leur atelier de fabrication doté d’un mélangeur, d’une presse et deux séchoirs. Dans le premier, il mélange 75 kilos de farine à 25,5 litres d’eau de source pendant 10 minutes. Le mélange obtenu progresse vers la presse achetée en Italie non loin de Gênes et installée par des ouvriers italiens, sur laquelle Matthieu dispose le moule en bronze en fonction de ce qu’il souhaite produire, penne rigate, coquillette, mafaldine, macaroni ou fusilli. Extrudées, les pâtes sont ensuite détaillées par une lame avant de tomber sur un tamis sur lequel elles sont étalées et mises à sécher une vingtaine d’heures dans un séchoir à température constante autour de 30°C. À l’issue, elles sont ensachées et livrées. À date, et comme nombre de ses confrères, les ventes ne sont pas extravagantes mais elles augmentent régulièrement notamment grâce aux collectivités obligées, essentiellement pour les cantines, de proposer des produits bios et de préférence locaux. Chaque semaine, ce sont 280 kilos de pâtes qui sont produites au moulin (un peu plus de 14 tonnes par an). C’est peu au regard du tonnage de farine mais c’est un nouveau débouché qui répond à des attentes de particuliers désireux de goûter autre chose que des pâtes de blé dur et de défendre un savoir-faire bio, local et artisanal.

Texte de Philippe Toinard, photographies d’Eric Fénot, un reportage réalisé pour le magazine Fou de Cuisine

Des pâtes, ... Oui mais bio et artisanales

Matthieu Blin
L’Artisan Pastier
Le Moulin de la Grande Bavouze
53200 Azé
Tél. : 02 43 07 22 04
www.artisan-pastier.fr
Plus d'articles de Philippe Toinard

Veiller au grain :
C’est quoi cette bouteille de lait ?

Cette semaine, au micro de RMC Info et BFM TV, le ministre...
Read More