RRRrrrr !!! J’ai (re)testé la cueillette sauvage en Provence

Au bord de l’étang de Berre, dans la bourgade de mon enfance, un site préhistorique  témoigne de la transition entre le mésolithique (un paléolithique soft) et le néolithique, soit le passage de la chasse-cueillette à l’agriculture-élevage (et au pastoralisme). Malgré le souvenir ému que je garde des nombreuses sorties scolaires au Grand Abri de la Font-aux-Pigeons, j’ai décidé, après plusieurs décennies de vautrage dans le confort néolithique, d’approfondir les velléités survivalistes amorcées avec les asperges sauvages  et les fleurs d’acacia . Au début du mois de juin, j’ai ressorti mon fidèle bob Ricard – un élégant hommage méridional au chapeau du cueilleur Marc Veyrat – et j’ai tapé à la porte du chef Sébastien Cortez, qui fait régulièrement le travail buissonnier pour collecter les ingrédients de son menu.

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6 plantes à goûter pendant les beaux jours dans le Midi
Thym, romarin, sarriette ou « pèbre d’aï », fenouil, marjolaine, sauge… : la Provence consomme traditionnellement et abondamment l’espace sauvage¹ et, en premier lieu, ses vigoureuses plantes aromatiques. Intensément parfumées grâce à l’aridité des sols et du climat, celles-ci embaument la cuisine locale qui se caractérise avant tout, pour l’ethnologue Christian Bromberger, par « le génie des aromates »². Mais Sébastien Cortez, chef à domicile  à Marseille, petit-fils de pêcheur varois, m’a surtout parlé des autres espèces végétales comestibles, les oubliées, celles que nous avons peu ou prou cessé de manger au fil des décennies. Ensemble, nous avons cueilli et grappillé un gargouillou  pré-estival sur une colline qui plonge dans la mer, le nez au vent chargé de bouquets d’iode et de garrigue.

La mauve
« Les différentes variétés de mauve figurent parmi les légumes sauvages les plus récoltés en Europe et sur le pourtour méditerranéen, notamment la mauve sylvestre. C’est une plante très rustique. Si la sécheresse ne s’installe pas trop vite, sa floraison se prolonge dans l’été. Les feuilles jeunes et tendres sont consommées crues, en salade. Ensuite, il suffit de les tomber rapidement, comme des épinards. Au Maroc, on les cuit à la vapeur avant de les faire revenir dans de l’huile. J’utilise surtout les fleurs, dont le léger goût de guimauve se marie bien avec les desserts, le poisson cru ou les crustacés. Les boutons floraux et les jeunes fruits, que l’on appelle « fromages », sont parfois conservés dans le vinaigre. Avec la mauve commune, que l’on trouve moins facilement en Provence, on peut aussi préparer des bouillons d’un bleu intense, comme Gérald Passedat pour son plat intitulé « Mauve abyssale » : on fait infuser les fleurs séchées puis on apporte de l’acidité, par exemple du jus de citron, ce qui fait tourner le liquide au bleu. »

L’immortelle
« On dit que c’est le curry provençal. Elle arrive au début de l’été, en même temps que le thym que l’on cueille surtout de mai à septembre. La floraison dure tout l’été. Il faut froisser les fleurs entre les doigts pour sentir leur parfum de maquis corse. Comme elles contiennent très peau d’eau, elles sont presque sèches sur pied et faciles à déshydrater entièrement à la maison. Fraîches ou séchées, je les émiette le plus finement possible, avec les doigts ou au couteau, puis je les marie avec des viandes blanches, des poissons ou tout autre ingrédient qui serait bon en curry. Les fleurs entières peuvent aussi farcir un poisson à griller, de la même manière que le fenouil séché. »

Le Diplotaxis
« C’est un genre de plante de la famille des crucifères. Ici, on en trouve essentiellement deux sortes. Le Diplotaxis erucoides, que l’on appelle « fausse roquette », « roquette blanche » ou « roquette des vignes », est très courant dans le nord de la Méditerranée, notamment au cœur des vignes et sur les bords de chemins. Ses petites fleurs blanches, abondantes en hiver et au printemps, ont un goût net de wasabi. J’aime les servir avec du poisson. Les Provençaux consomment traditionnellement les feuilles en salade : piquantes et amères, elles sont de préférence mélangées avec d’autres espèces plus douces. On peut cueillir également le Diplotaxis tenuifolia ou « roquette jaune », qui fleurit jusqu’à l’automne et que l’on trouve facilement en bord de mer. Les fleurs jaunes ont cette fois un goût de moutarde et les jeunes feuilles entrent dans la composition des salades, comme la roquette, mais avec un goût plus marqué. »

L’orpin de Nice
« C’est une plante grasse ou « succulente », dont je cueille les jeunes feuilles. Croquantes et acidulées, elles apportent de la texture et du goût aux salades. Elles sont intéressantes avec le poisson cru, ou bien en jus, après un passage à la centrifugeuse. En vieillissant, elles deviennent de plus en plus âpres. On peut conserver les fleurs dans du vinaigre. »

Les pommes de pin
« En Provence, on parle de pignes. Il est possible de les utiliser à plusieurs stades de maturité. Je fais confire les petits bourgeons tendres et frais dans un sirop de sucre, en plusieurs fois comme pour les écorces d’agrumes, puis j’utilise le sirop qui présente alors un côté résineux très intéressant. Quand ils grandissent, les bourgeons se transforment en pignes qui, tant qu’elles restent fermées, peuvent être infusées dans un bouillon ou un lait, toujours pour leurs arômes de résine. Enfin, quand les cônes s’ouvrent, vers septembre-octobre, il ne reste qu’à récupérer les pignons qui n’ont pas été mangés par les oiseaux ou les écureuils. »

La criste marine
« Elle pousse sur les rochers des côtes méditerranéennes ou atlantiques, où elle résiste au sel et aux vagues. J’adore son léger arôme de fenouil – on l’appelle d’ailleurs fenouil de mer – et sa saveur iodée. Pour la manger crue, c’est à la fin de l’hiver et au printemps qu’elle est la plus tendre, mais je l’utilise toute l’année car je la prépare en tempura, ce qui l’attendrit tout en la sur-texturant : j’ajoute du craquant au craquant. On garde aussi couramment les feuilles dans le vinaigre, comme des cornichons. »

Précautions
Pour éviter que le plaisir paléolithique de « parcourir le pays en herborisant » (cc Jean-Jacques Rousseau) ne se transforme en séjour dans un hôpital très prosaïquement néolithique, mieux vaut se munir d’un bon livre ou partir en promenade avec un connaisseur averti des subtilités botaniques locales. « Les plantes vraiment toxiques sont rares, mais certaines peuvent être malencontreuses pour des personnes asthmatiques ou cardiaques, ou provoquer des troubles digestifs si elles sont consommées en excès », prévient Sébastien Cortez. Attention, par ailleurs, aux lieux de récolte : il est préférable éviter les vignobles traités et les lieux pollués, tels que les bordures d’autoroutes ou de champs gorgés de pesticides. Quoi qu’il en soit, les récoltes doivent être lavées (mieux vaut donc éviter de les brouter). Enfin, pour préserver les ressources, quelques règles de bon sens sont de mise : éviter de déraciner les plantes (sauf si la partie souterraine est l’élément de consommation et qu’il ne s’agit pas d’une espèce rare), ramasser sans aller au-delà de ses besoins, ne pas ratiboiser une seule plante mais prélever les parties comestibles sur plusieurs spécimens, et, quand la fatigue se pointe, trouver un coin d’ombre et d’herbe tendre pour suivre les préceptes de cette pensée sauvage venue de la nuit des temps :

 

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¹ Anita Bouverot-Rothacker, « Consommer l’espace sauvage », Études rurales n°87-88, 1982.
² Provence, Christine Bonneton Éditeur, 1995.

 

Pour aller plus loin :

Sébastien Cortez recommande deux ouvrages 

  • Manifeste gourmand des herbes folles, sous la direction de George Oxley (éditions du Toucan, 2013).
  • Sauvages et comestibles, de Marie-Claude Paume (éd. Edisud, 2011).

Récemment, l’émission « Les bonnes choses » s’est penchée sur la cuisine aux fleurs, avec notamment François Couplan, auteur de Plantes sauvages comestibles et de Cuisine sauvage. À réécouter ici : https://www.franceculture.fr/emissions/les-bonnes-choses/la-cuisine-aux-fleurs

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