Quand le café a chaud

Dans tous les pays producteurs, le café commence à subir les effets du réchauffement climatique. Un bouleversement qui ne tardera pas à heurter notre tasse… Le point sur la question en Colombie.

Depuis quelques années, la presse et les publications scientifiques évoquent le sujet du café face au réchauffement climatique, promettant de graves répercutions sur notre consommation. Seulement voilà, depuis ces annonces, pour le buveur de café lambda, rien n’a vraiment changé. Nous buvons encore la même chose, encore au même prix, et le marché du café est même en plein développement. Que se passe-t-il donc réellement ? Je suis allée poser la question à des producteurs et acheteurs en Colombie, éclairée par l’importateur Alexandre Bellangé et la meilleure torréfactrice de France, Anne Caron.

La bonne altitude : toujours plus haut
Dans le département de Huila, au sud de la Colombie, les exploitations, appelées fincas, sont petites (rarement plus de 15 hectares) et en pente raide. Le café pousse dans les montagnes, à une altitude savamment calculée. Comme l’explique Carlos Julian Ruiz, fondateur de Banexport, société d’achat et d’exportation de café, cette plante est délicate. “Le café a besoin d’une saison sèche et d’une saison humide, ainsi que d’un sol volcanique riche ; il pousse sous des latitudes tropicales, ne supporte pas le froid mais n’aime pas les grosses chaleurs. L’altitude idéale pour le cultiver, située autrefois autour de 1200 à 1500 mètres, se situe aujourd’hui plutôt autour de 1700 mètres, voire plus haut.” Quelques centaines de mètres qui font toute la différence.

C’est ce qu’on peut remarquer dans les différentes fincas que nous visitons. Chez Ducelina Vargas, dans la région de Pitalito, on est tout simplement en train d’arracher les caféiers situés au bas de l’exploitation, bouffés par la rouille, et on se concentre sur une toute nouvelle parcelle acquise 150 mètres plus haut. Si l’on souhaite rester dans le bio, ou du moins l’agriculture raisonnée, il n’y a qu’une seule solution : monter. Plus il fait chaud et humide, plus les maladies et les parasites prolifèrent, attaquant les plantes dont le rendement baisse de toute façon, le climat n’étant plus adapté. Le même scénario s’observe à Tolima, chez le fermier Humberto Zuluaga. Impossible aujourd’hui pour lui de produire du café à moins de 1750 mètres d’altitude.

Un changement brutal qui affecte tout le monde
Combien de temps tout cela a-t-il pris ? L’influence du réchauffement climatique sur la culture du café serait-elle un problème bien plus ancien, dont on ne parle en Occident que depuis quelques années ? “Non, je ne crois pas”, me répond Alexandre Bellangé, à la tête de la société d’importation Belco. Lui qui voyage à longueur d’année dans tous les pays producteurs, de l’Éthiopie au Nicaragua, et prend le temps de discuter avec les fermiers, n’en entend pas parler depuis si longtemps. “Les effets semblent être visibles et problématiques depuis peu de temps. Dans le milieu, on n’en parle réellement que depuis 5 ans environ.” Un changement brutal donc, mais qui affecte tout le monde. “Pour que même les gros exploitants brésiliens s’en préoccupent et se mettent à parler d’écologie, c’est vraiment qu’il y a un problème.”

Une hausse des prix inévitable et nécessaire
En fait, la consommation mondiale d’arabica a dépassé la production pour la troisième année consécutive en 2017. Logiquement, nous devrions en faire les frais : quand la demande dépasse l’offre, les prix flambent. Pourtant, le café est toujours aussi peu cher – à moins qu’on l’achète en dosettes, mais ce n’est pas le café en lui-même qui coûte cher dans cette histoire. En fait, les stocks restants de meilleures années ont permis jusqu’ici aux industriels du secteur de satisfaire la demande grandissante alors que la production est en baisse. Mais cette ressource va bien finir par s’épuiser, et la demande va continuer à augmenter, car l’Asie s’intéresse de plus en plus à cette boisson très à la mode.

Bref, quelle sera la conséquence à moyen terme ? On ne va pas pouvoir continuer à grimper toujours plus haut dans les montagnes pour cultiver le café, et cela ne règlera pas le problème durablement quoi qu’il arrive. “Ce qui va se passer, c’est tout simplement la raréfaction de la ressource, et donc l’augmentation de son prix”, explique Alexandre Bellangé. “Et il serait temps !” s’exclame Anne Caron, fraîchement élue meilleure torréfactrice de France. “Quand on pense que le café est le deuxième poste d’importation après le pétrole, et que les prix n’ont pas bougé ou presque depuis les années 1950, on se dit qu’il est temps de le valoriser. Le défi, ce sera d’arriver à faire profiter les personnes qui le cultivent de cette augmentation des prix ; c’est une simple question de volonté dans les circuits courts, mais chez les “gros”, qui multiplient les intermédiaires, c’est une autre histoire…”

Du café de Californie pour demain ?
Bon, mais si le café devient plus rare dans les pays producteurs actuels, ne pourrait-on pas tout simplement le cultiver ailleurs ? Carlos Julian Ruiz évoque, dans un demi-sourire, un projet de production d’arabica en Californie. Il reste dubitatif. Même si c’était techniquement possible, en imaginant que le climat de cet État se mette à correspondre aux exigences particulières des caféiers, quel serait l’intérêt d’une telle production ? “Ce café-là, il serait très cher, c’est sûr. Et puis il faudrait sans doute irriguer les terres à très grande échelle. Bref, d’un point de vue écologique, on ne règle rien du tout…”

En attendant cette hausse des prix inévitable, nous savourons nos dernières tasses de mauvais café pas cher et produit en masse. La raréfaction de la ressource nous poussera sans doute à être plus sélectifs et à apprendre à connaître le café pour le voir, enfin, comme un produit venu de loin, cultivé à grand peine et méritant plus d’égards que d’être noyé dans le sucre et le lait. Ou alors, on pourra continuer à boire la même chose, en moins bien, et pour plus cher.

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