Petit à petit, le boeuf wagyu fait son nid. En Bresse, en Sologne, en Ille-et-Vilaine ou en Baie de Somme, des agriculteurs désireux de sortir du système laitier se tournent vers l’élevage de wagyu. Au dernier recensement opéré en février 2018, il y aurait quatorze éleveurs dans l’Hexagone pour un total de 600 têtes. Emmanuel Rialland dans le marais de Mazerolles en Loire-Atlantique est l’un d’eux.
Comme le souligne avec fermeté, Arthur Le Caisne, auteur du Manuel du garçon boucher paru chez Marabout en 2017, le wagyu n’est pas une race. La traduction est, on ne peut plus claire, Wa signifie Japon et Gyu bœuf. Le wagyu est donc le bœuf du Japon et il est composé de 4 races, la Japanese Black (90 % des wagyus), la Japanese Polled, la Japanese Brown (ou Reed) et la Japanese Shorthorn. Longtemps interdit à l’exportation, le wagyu sous forme de carcasses a seulement été autorisé en Europe à partir de 2014. Auparavant, s’il était possible d’en trouver à la carte de certains restaurants français, c’est que la viande était essentiellement issue d’élevages australiens ou néo-zélandais. Mais alors comment élever du wagyu en France quand on sait qu’aucun animal vivant n’est autorisé à poser un sabot sur notre sol ?
Mère porteuse
Chez les Rialland, on est agriculteur depuis 5 générations au Petit-Mars en Loire-Atlantique à deux pas de l’Erdre, un affluent de la Loire. Après un Bac STAE (Sciences et technologies de l’agronomie et de l’environnement) et un BTS ACSE (Analyse et conduite de systèmes d’exploitation), Emmanuel reprend en 2001, l’exploitation familiale installée sur le domaine du château du Pont Hus. 50 vaches de race Holstein, 380 000 litres de lait par an. Emmanuel ne roule pas sur l’or mais surtout, il a le sentiment que son travail n’est pas reconnu. L’association avec un autre exploitant en 2004 ne changera pas la donne, Emmanuel ne s’épanouit plus.
Il cesse son activité fin 2009 et revend ses bâtiments transformés depuis en centre d’insémination pour le haras de Hus. S’ensuivent trois années de réflexion, de voyages et de rencontres. L’idée n’est pas de quitter le monde agricole mais de réfléchir à un projet valorisant pour lui et l’idée qu’il se fait du métier d’agriculteur trop souvent dévalorisé à ses yeux. En attendant et sans exploitation fixe, il gère les travaux agricoles du haras, une façon de rester sur les terres de ses ancêtres sans les inconvénients, de gagner un peu d’argent et de peaufiner son projet de créer un troupeau de wagyu.
Ses contacts vont le mener à se tourner vers l’Australie où il achète en 2012 pour 800 dollars ses premiers embryons de wagyu qu’il fait implanter dans des Charolaises et des Limousines.
Il travaille depuis avec des races comme la Normande ou la Montbéliarde plus généreuses en lait. Les premiers veaux issus de mères porteuses naissent en 2013. Parmi eux, il conserve un taureau qui porte le numéro 20, la clé de voûte du futur élevage. En 2017, on assiste aux premières naissances de veaux portés cette fois par des mères wagyu, la 10 et la 19, nées de mères porteuses. Fin 2018, Emmanuel pourra enfin commercialiser du wagyu issu de mères porteuses et en 2020, du wagyu porté par des mères de race wagyu. Entre les achats d’embryons et la création d’un troupeau 100 % wagyu, dix années se seront écoulées.
Boeuf Wagyu, le haut de gamme de l’élevage
Pour mener à bien son projet, Emmanuel a mis un certain temps à convaincre les banquiers. Ce n’est qu’en 2016 qu’il obtient des financements notamment pour faire sortir de terre son bâtiment principal. À l’époque, les élevages de wagyu ne sont pas légion et l’animal n’est pas reconnu sur le plan administratif. À la case race, les éleveurs sont obligés de cocher « autre race à viande étrangère ». Depuis, les choses ont évolué et au printemps 2018, grâce au travail de l’association française des éleveurs de boeuf wagyu, ce dernier est officiellement reconnu… de quoi rassurer les investisseurs.
Ce bâtiment, Emmanuel l’a voulu photovoltaïque. Orienté plein sud, il accueille une partie du troupeau (1 taureau, 30 bœufs et 70 vaches) qui se plaît à écouter de la musique classique. La raison ? « Ca calme les animaux et cela couvre les bruits extérieurs qui peuvent être sources de stress » explique Emmanuel. Toutes les 20 minutes, l’air du bâtiment est entièrement renouvelé par une ventilation écologique qui permet de plaquer constamment la poussière au sol et de lutter contre les mouches qui, perturbées par ce flux d’air, quittent le bâtiment et laissent les animaux tranquilles. Autres avantages de cette ventilation, elle permet de diffuser des huiles essentielles et d’apporter une température et une hygrométrie constantes à des animaux qui possèdent chacun une surface minimum de 12 m2 de couchage. À droite en entrant, les dernières mères porteuses et leurs petits sevrés autour de 8 à 9 mois. Un peu plus loin, les bœufs castrés. À gauche, un petit veau issu de mère wagyu, deux femelles historiques, les fameuses n°10 et 19 car chez Emmanuel, les animaux ne s’appellent pas Blanchette, Cerise ou Lambada « je ne me suis jamais posé la question et même si elles sont terriblement douces, câlines et calmes, je doute qu’elle me réponde si je les appelle par leur prénom ». À leurs côtés, le taureau n°20 et d’autres mères.
À la disposition de tout le troupeau, des brosses pour lutter contre les parasites et se masser, et de l’eau enrichie en chlorella vulgaris, une algue microscopique qui agit comme un probiotique en apportant des minéraux, des vitamines permettant ainsi de ne pas faire appel aux traitements antibiotiques. Et pour principale nourriture, du foin bio issu du marais de Mazerolles qu’Emmanuel mélange à des tourteaux de lin « bleu, blanc, cœur » riche en oméga 3 et 6. Le foin justement. Sa particularité, il est ramassé vert pour éviter que le soleil ne brûle une partie de ses valeurs nutritives. Il n’est pas non plus bottelé ou enrubanné pour qu’il ne parte pas en fermentation. Emmanuel, avec d’autres agriculteurs, a fait construire via une CUMA (Coopérative d’utilisation de matériel agricole), un bâtiment ultra-moderne où chacun vient sécher le fruit de ses cultures. Emmanuel y apporte le foin en vrac qu’il fait sécher par le biais d’une puissante soufflerie. En le déshumidifiant de cette façon, le foin est vidé d’une grande partie de ses poussières qui ne sont ainsi pas ingurgitées par le bétail qui bénéficie en plus d’un foin riche en valeurs nutritives.
De l’importance du marais de Mazerolles
Si l’hiver, le troupeau reste sagement dans le bâtiment principal, aux beaux jours, une partie des animaux rejoint à quelques kilomètres de là, le marais de Mazerolles bordé par l’Erdre, une zone protégée de 750 hectares reconnue Territoire Natura 2000. Cette ancienne tourbière, longtemps à l’abandon a été reprise en mains en 2007 et réhabilité sous la houlette de Pierre Hoflack, éleveur de chevaux et agriculteur. C’est sur ces terres qu’Emmanuel produit son foin sans traitement chimique et qu’il loue 35 hectares sur lesquels viennent paître ses bêtes qui trouvent pas moins de 60 variétés d’herbes et de fleurs.
Une diversité qui participe à leur engraissement à l’opposé des prairies traditionnellement plantées en Ray Grass.
Pierre Hoflack se félicite de la présence des wagyus, « d’une part, les bêtes participent à la préservation du marais, d’autre part, elles contribuent au maintien des zones écologiquement sensibles. Enfin, qui dit vache, dit bouse donc insectes et forcément oiseaux. Et qui dit oiseaux, dit régulation des poissons qui étaient parfois en trop grand nombre. La biodiversité est de retour dans ce marais grâce à des initiatives comme celle d’Emmanuel ». Preuve en est, il y aurait environ 169 espèces d’oiseaux différentes, du vanneau huppé au canard souchet en passant par la bécassine des marais et le canard siffleur. Ils n’ont jamais totalement déserté le marais mais cette halte sur leur route migratoire ne peut se faire que si il y a de la nourriture à disposition. L’élevage y contribue.
Des débouchés assurés
Élever du boeuf wagyu, c’est un coût et beaucoup de patience (36 à 40 mois contre 18 à 20 pour une race traditionnelle) d’autant qu’au début de la commercialisation (fin 2018), Emmanuel ne pourra abattre qu’une bête par mois avec un objectif à moyen terme (2020) de passer à une bête par semaine. « J’y ai placé toutes mes économies, la vente de mon troupeau, de mon bâtiment mais le jeu en vaut la chandelle car je peux en espérer 20 € du kilo carcasse quand un éleveur de race à viande classique en obtient 4 à 5 € du kilo ». À condition de trouver les débouchés ! « Je ne suis pas inquiet, la demande est croissante chez les chefs comme chez les grossistes ». Preuve en est, l’Académie Culinaire de France est devenue partenaire du Marais de Mazerolles depuis quelques années et ses membres se sont engagés à promouvoir ses produits d’excellence, les écrevisses, les poissons d’eau douce, les poissons fumés et évidemment le wagyu d’Emmanuel Rialland pour lequel certains chefs auraient versé une petite larme lors de la dégustation tant la viande est d’excellence.
Un reportage de Philippe Toinard (textes) et Eric Fénot (photographies) pour le magazine Fou de Cuisine
B.Wag – Emmanuel Rialland
44390 Petit-Mars
erialland@hotmail.fr
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