Alice et Olivier de Moor se sont installés à Chablis il y a 25 ans. Si quelques grandes tables et les connaisseurs s’arrachent leurs crus, eux sont restés simples, accueillants et authentiques. Retour sur une rencontre chaleureuse organisée par Thomas Noble, le sommelier de La Côte Saint-Jacques à Joigny, passionné par les vins natures, bio et biodynamiques.
Un premier millésime en 1995
C’est Alice, la première, dans l’ombre de la cave, qui nous raconte leur histoire, celle d’un domaine qu’ils ont créé de toutes pièces avec Olivier. En 1989, alors qu’il était encore étudiant en biologie et en œnologie, il a commencé à planter des vignes. « Il n’est pas du tout du monde viticole, mais il est né ici donc tous ses jobs d’étudiants se sont faits à la vigne », nous précise-t-elle. Cependant, ce n’est que lorsqu’il arrive à la fac de Dijon qu’il décide de se consacrer véritablement au vin grâce à un cursus dédié. Tout s’enchaînera alors très vite. « C’était une époque où il suffisait de planter pour avoir des droits, l’oncle d’Olivier avait des champs en appellation donc c’est comme cela qu’on a commencé ». Ancien chef de culture chez William Fèvre et Jean-Marc Brocard, domaines emblématiques de Chablis, il a déjà acquis une expérience cruciale. Alors dès 1994, il s’installe avec Alice : « au début on avait 3 hectares de Chablis, 1 hectare d’Aligoté et de Sauvignon à Saint-Bris, on a planté des vignes à Chitry pour faire de l’Aligoté et du Chardonnay, on est arrivé assez rapidement à 7 hectares ». Quant à la première récolte, elle a lieu en 1995. Aujourd’hui, à ces 7 hectares originels s’en sont ajoutés 2 de Premier Cru et 1 de Chablis.
L’évidence du bio
Les vignes étant jeunes et les de Moor voulant être certains d’avoir une récolte, ils commencent en conventionnel. Il faut attendre un peu pour que le bio fasse son apparition. Pas très longtemps ceci dit, puisque les insecticides sont abandonnés au bout d’un an, et les herbicides dès 1999. Ces derniers ne manquent pas, loin de là, car les parcelles sont soumises à d’importants problèmes d’érosion corrigés par l’herbe. « On a fait des essais, notamment sur des vignes difficiles d’accès, et en 2005 on est finalement passés en bio sur tout le domaine, avec une certification en 2008 » nous explique Alice. Elle poursuit : « c’était important pour notre santé de ne pas être trop agressés par des produits chimiques dans les vignes. On voulait aussi faire des vins sans ajouter de levures, il en fallait donc sur les raisins, ce qui limitait l’utilisation d’anti-pourriture ».
Et la biodynamie ? Ils ne la revendiquent pas mais en intègrent certaines idées et préparâts. Ce fut particulièrement le cas pour ramener de la vie dans les sols.
Leurs outils principaux à la vigne : un peu de soufre, un peu de cuivre, des huiles essentielles et des tisanes de plantes.
Toujours dans cette logique environnementale, ils ont intégré un programme de confusion sexuelle, technique de lutte contre les parasites de la vigne qui perturbe leur système hormonal de reproduction. Celui-ci incarne une prise de conscience longtemps attendue à Chablis en fédérant l’ensemble des viticulteurs locaux.
Le culte de la précision
Chaque cuvée est le résultat d’un travail méticuleux. La production, limitée, s’écoule uniquement par un système d’allocations. « On a cette chance, s’exclame Olivier, d’avoir, commencé avec trois clients, dont un nord américain, adepte de la non filtration, qui était prêt à nous acheter l’ensemble de la production dès le lancement ! ». Les de Moor, qui craignaient de ne pas trouver de public pour leurs Chablis non filtrés, peuvent alors expérimenter sereinement. Au fil des années, ils se construisent une clientèle fidèle aux quatre coins du globe, avec curieusement beaucoup d’étrangers demandeurs de flacons vinifiés différemment, sans traitement à la vigne ni filtration…à tel point que les stocks n’ont jamais vraiment existés ici.
Il faut préciser que les cuvées du domaine font mouche. Thomas Noble les juge « pleines de fraîcheur et de tonus », à l’image du Chitry, gras, fruité et fleuri mais qui comporte une belle acidité. « C’est un vin très gourmand qui a du peps » surenchérit le sommelier de Jean Michel Lorain, 2 étoiles au Michelin. Le Coteaux de Rosette, lui, est un Chablis de repas, plus structuré, du fait du sol de marnes de la parcelle. Séduit, Thomas affirme qu’il en servira bientôt à la Côte Saint-Jacques pour s’acoquiner avec un homard ou les ormeaux de plongée et couteaux, salicornes et haricots verts croquants.
En marge de l’appellation Chablis, affranchi et provocateur, le vendangeur De Moor se masque parfois et vinifie un jus provenant d’achats maîtrisés de raisins bio. Il jongle alors avec des cépages exotiques en Bourgogne tels que le Chenin, le Viognier ou le Bourboulenc. « Nous allons bientôt avoir un assemblage de Carignan et de Pinot Noir » s’amuse même Olivier !
Ce qu’il faut comprendre, c’est que la curiosité est la seule voie que s’autorisent Alice et Olivier pour proposer quelques cols de plus à la vente. Car si on leur demande s’ils voudraient s’agrandir pour produire plus, ils répondent de concert et sans hésitation par la négative.
L’objectif, avant tout, demeure de « conserver la précision » des vins.