Au nord-est de la Corée du Sud, un campement de réfugiés nord-coréens installés là pendant la guerre est devenu un village au fil des années, puis des décennies. On l’appelle Abai-maeul, et c’est l’un des rares endroits où l’on peut découvrir les spécialités culinaires du Nord.
La Corée est un pays double ; difficile d’imaginer aujourd’hui le Nord et le Sud comme une seule et même nation, tant ils sont devenus des mondes opposés et mutuellement étrangers. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, il n’y avait qu’une Corée. On entend souvent que la péninsule a été coupée en deux au niveau du 38e parallèle, mais la situation a évolué. La frontière tirée à la règle a ensuite été modifiée au cours de la guerre de Corée pour aboutir à l’actuelle DMZ ; elle remonte désormais nettement vers l’est, où se trouve la ville de Sokcho, dans la province appelée Gangwondo.
Sokcho est une ville agréable en bord de mer que les Coréens aiment beaucoup. Les paysages sont charmants, avec des pins, la mer, des montagnes et des lacs ; on y mange très bien, et il y a de nombreuses attractions touristiques à visiter, dont une un peu particulière : un village de réfugiés nord-coréens appelé Abai-maeul.
Toujours réfugiés après trois générations ?
Peut-on d’ailleurs encore parler de réfugiés ? Les gens qui se sont installés là sont venus de Corée du Nord pendant la guerre, de 1950 à 1953. Près de 70 ans plus tard, les adolescents qui sont arrivés à Abai-maeul sont aujourd’hui des grands-parents, voire des arrière-grands parents, à l’image de Jeong-ok Lim, âgée de 84 ans, qui doute désormais de revoir sa ville natale de Heungnam.
Comme elle, de nombreux Nord-Coréens, principalement venus du Hamkyung-namdo, ont débarqué à Cheonho-dong dans la ville de Sokcho. Sokcho appartenait à la Corée du Nord jusqu’en 1951, et ils pensaient donc rentrer chez eux facilement par bateau. Sauf que le conflit entre les deux Corées a fixé la frontière entre les deux pays au nord de Sokcho, et celle-ci a dès lors été infranchissable. Les réfugiés de Cheonho-dong se sont retrouvés de fait en Corée du Sud, sans moyen de rentrer chez eux. Leur « village » a été baptisé Abai-maeul, abai signifiant « père » dans le patois du Hamkyung-namdo, car les réfugiés étaient principalement des hommes entre deux âges.
Dédale de ruelles au milieu d’abris de bric et de broc
Quand on se balade à Abai-maeul aujourd’hui – à pied, l’endroit étant piéton et très circonscrit – on voit d’abord des petites rues touristiques avec des tas de restaurants de fruits de mer. Puis, en continuent un peu, les rues sont de plus en plus étroites et tortueuses, au point de donner l’impression d’être dans une allée privée ou carrément chez les gens. Cette partie du village rappelle la réalité de ceux qui se sont installés là à l’époque : ils restaient groupés et se sont fabriqué des abris de bric et de broc en attendant de repartir. Tout cela était provisoire. Et puis ça a duré. Aujourd’hui, certaines maisons sont en briques et plus en tôle, la pérennité de la situation se traduisant dans les matériaux de construction employés.
Si l’endroit est étrange, il ne s’agit pas du tout d’une communauté de parias. Sokcho a élu puis réelu un maire qui venait de ce village. Comme lui, beaucoup d’autres habitants d’Abai-maeul ont réussi, commençant par une modeste activité de pêcheur puis devenant commerçants en ville. De plus, le lieu suscite une grande tendresse en Corée du Sud. On aime le visiter pour son histoire, mais aussi parce qu’il offre une occasion unique de goûter des spécialités de Corée du Nord. Bon, la cuisine étant vivante et évoluant sans cesse, on ne peut pas dire que les plats servis à Abai-maeul soient identiques à ceux que l’on sert au Nord aujourd’hui ; toutefois, le pays de Kim Jong-un étant l’un des plus hermétique au monde, c’est ce qui s’en rapproche le plus.
Boudins d’enfer et spécialités de fruits de mer
Tous les restaurants du coin servent à peu près la même chose, ou au moins les mêmes plats incontournables. On a tout d’abord l’abai sundae, un boudin au sang de porc, riz gluant et légumes, considéré comme un produit de luxe en comparaison aux autres boudins à base de produits de la mer. C’est excellent, moelleux voire fondant en bouche, mais attention, c’est relevé de piment. On le sert tranché (puisqu’on mange avec des baguettes) et on le déguste trempé dans une sauce épicée. Le boudin de merlan (myeongtae sundae) est une préparation assez similaire, sauf qu’on fourre le peau du poisson d’un mélange de sa chair, de riz et de légumes. Le boudin de calmar (ojingeo sundae) est quant à lui une recette endémique à Abai-maeul, reprenant la recette du boudin de merlan mais avec un produit local moins cher, le calmar. La version récente de cette spécialité est particulièrement riche et gourmande : les tranches de boudin sont enrobées d’œuf battu puis frites.
On se régale également de hamheung-nengmyeon, plus facile à manger qu’à dire, des nouilles de patate douce à la réjouissante élasticité servies froides dans une sauce pimentée, ou d’un poisson appelé gajami dégusté cru et fermenté sur un lit de millet cuit. On trouve d’autres bons petits plats moins typiquement locaux, comme des nouilles de blé en bouillon au crabe, une fabuleuse soupe aux algues et aux oursins appelée seongge miyeokguk, toutes sortes de fruits de mer et poissons crus… Bref, à Abai-maeul, on mange bien. L’idéal est d’y aller avec des copains pour faire un festin et goûter à tout, en ayant une pensée pour les papis et mamies, comme Jeong-ok Lim, qui ont fait cet endroit très spécial et sa cuisine tout aussi unique en attendant un retour au pays qui n’est jamais venu.
Merci à l’Office de tourisme de Corée et à l’agence de voyage Awateha – pour plus d’informations :