Les précieux poissons des Pensec

À Brest, Xavier Pensec et sa femme, Mika, préparent le sushi comme à Tokyo, mais avec des poissons bretons. Des poissons précieux qui demandent un travail d’orfèvre et qu’ils servent tous les soirs au comptoir de leur restaurant, Hinoki.

Xavier et Mika Pensec sont deux entêtés. Ils se sont rencontrés à Tokyo il y a 10 ans, quand Xavier suivait une formation intensive pour apprendre le sushi. Mika était consultante culinaire. Lui originaire de Lorient, elle du Japon, ils se sont installés à Brest pour ouvrir leur affaire : Hinoki, un restaurant de dix places, spécialisé dans l’Edomae sushi, le sushi dans le style traditionnel de Tokyo. Ils se donnent un mal fou pour respecter toutes les règles – écrites ou tacites – de cet art culinaire nippon en Bretagne, même si leurs clients français ne voient pas toujours toutes les subtilités que cela implique. Le résultat est surprenant. Les gestes, les outils, les matières, tout est comme au Japon, sauf que le chef a les yeux bleus et des airs de gentleman anglais, ce qui donne à chaque service un côté surréaliste.

Lui au comptoir, elle en cuisine
Mais peu importe, ce qui compte, c’est l’attitude de ce couple, lui au comptoir, elle en cuisine, appliqués à trouver les meilleurs poissons et fruits de mer pour réaliser des sushis épatants avec les ressources locales, sans trahir l’origine de cette tradition. Le résultat est beau, exquis, et étonnamment conforme à ce qu’attendraient des Japonais. Isolés à Brest, où la communauté nipponne est plus ou moins inexistante, ils pourraient faire les choses à leur sauce et prendre beaucoup de libertés, mais non : leur plaisir, leur fierté, leur luxe, c’est d’avoir un vrai comptoir à sushi, une rareté en Europe. Xavier veut rendre hommage à ces petites choses qui l’ont fasciné et appelé au premier coup d’œil :

Quelle beauté, quelle pureté, quelle élégance dans le sushi

me dit-il – et Mika veille à tous les détails. Il est interdit de profaner quoi que ce soit, c’est une question d’honneur et de respect du produit.

Non, la sardine ne se mange pas seulement grillée
Leur riz, leur nori, leur racine de wasabi et pas mal d’autres ingrédients viennent du Japon. Mais leurs poissons, coquillages et algues fraîches sont presque tous du Finistère. Quand Xavier en parle, on ne dirait pas qu’il évoque des aliments, mais des bijoux précieux. Des bijoux qu’il a cherchés, dénichés, mérités, car même au bout de la Bretagne, il est difficile de trouver la grande diversité halieutique nécessaire à un véritable service de sushi. Il faut compter au moins une douzaine d’espèces différentes par repas, et c’est loin d’être évident à rassembler tous les jours. « On croit à tort que les gens profitent de toute la richesse de la mer en Bretagne. En fait, pour la plupart, ils mangent toujours les mêmes poissons, souvent préparés de la même façon, comme n’importe où en France. » Cela se vérifie dans une poissonnerie où nous passons un samedi matin. Je dis « Sardine », on me répond « Grillée ». Je dis « Non, crue ». On me regarde comme une extraterrestre.

Les beaux yeux de la daurade, le rouge vif du vernis
Au bout de dix ans, les Pensec ont fini par trouver leurs pêcheurs, leurs conchyliculteurs et leurs poissonniers. Ils n’achètent que du très frais – voire, dans pas mal de cas, du vivant. Ils cherchent du brillant, du vif, du coloré. Ils vont eux-mêmes chercher chaque trésor. Ils passent ensuite tout le temps nécessaire à soigner chaque préparation, et ça fait beaucoup, beaucoup de temps. La découpe est longue, Xavier s’applique. Il a un geste moins « automatisé » qu’un chef Japonais, et il le sait. Parfois, ça l’agace. Mais avant tout, il admire les yeux de cette daurade royale, les écailles des sardines, le rouge vif du vernis, la combativité des langoustines. Il me fait goûter.

Les saveurs sont propres et nettes, une clarté de goût typique du bord de mer, qui s’évanouit quand les produits attendent ou voyagent.

Parfois, il jubile. « Regardez ça. Ils vont être contents, mes clients, ils ont beaucoup de chance », dit-il en toute modestie. Il n’est pas en train de vanter la qualité de son ouvrage. Il s’émerveille des poissons qu’il a la chance de préparer et qu’il est fier de servir à quelques privilégiés.

La maturation, pour révéler l’umami
Certains poissons sont salés, vinaigrés, maturés assez brièvement, comme ces jolies petites sardines. La daurade royale va attendre 24 heures entre deux feuilles de kombu breton, une technique japonaise pour révéler l’umami. Le thon est maturé encore plus longtemps, un peu comme une belle pièce de bœuf. L’encornet est coupé très finement à la dernière minute – on parle d’ika somen au Japon, des « nouilles de calmar », pour que la chair ait la consistance parfaite, tendre mais résistante, et surtout pas caoutchouteuse. Le vernis est détaillé de manière savante, la crête croquante et sucrée d’un côté, la barbe iodée et la noix moelleuse de l’autre. Le riz, primordial, demande lui aussi un soin particulier. Rincé, trempé, cuit sous pression, assaisonné avec ce qu’il faut de vinaigre et de sel de Guérande, et une minuscule pointe de sucre, c’est un pilier du repas qui se doit d’être parfait.

Bijoux comestibles
Pendant le service, les pièces de sushi se suivent et ne se ressemblent pas. Chaque bouchée est suivie d’un « Hmmmm » ou d’un silence joyeux. Mika prépare des petits plats variés qui ponctuent le menu. On commence avec du chawanmushi, le flan salé nippon cuit à la vapeur, puis du poulpe de casier mijoté au saké avec un zeste de yuzu, et des petits ormeaux sortis de l’eau une heure plus tôt, servis avec leur foie. Une soupe aux têtes de langoustines incroyablement douce vient ensuite, et on finit avec un dessert à tomber par-terre : une glace au hatcho miso – le miso rouge, corsé -, au sarrasin grillé et aux grains de raisin givrés. Derrière son comptoir, tous les yeux braqués sur lui, Xavier fait penser à un acteur en scène. Il commence avec le trac et se prend au jeu très vite. Mika reste sérieuse jusqu’à la dernière minute, puis se détend et va remercier les clients qui s’attardent après le repas. Elle est drôle, directe, épuisée mais pétillante. Ils sont beaux à voir, ces deux entêtés. Certes, cela demande d’aller jusqu’à Brest. Mais ces précieux poissons valent le voyage.

Les précieux poissons des Pensec

Hinoki
6 rue des 11 martyrs
29200 Brest
Ouvert au dîner du mardi au samedi
Réservations : 06 64 21 68 46
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