Remi Henry s’engouffre dans l’étable d’une exploitation agricole nichée dans les collines moutonnantes et endormies du Perche, tout près de la maison qui l’a vu grandir. Un géant belge, à peu près deux fois sa taille, installé dans le coin depuis plus de 20 ans, l’y accueille les bras ouverts comme chaque semaine. Car Remi Henry est un des rares chocolatiers (le seul ?) qui ne conçoit ses ganaches que fabriquées avec de la crème fermière et non la crème UHT pleine de carraghénanes utilisée par 90% de la profession.
Le chocolatier ouvre le pot de 5 litres qui lui a été réservé : c’est bien, la crème est toute fraîche de la dernière traite, elle exhale un parfum de tout début de maturation, mais très léger ! Il faudra impérativement l’utiliser dans la journée, malgré les 4 heures de route aller-retour, car parfaitement fluide et n’ayant pas encore développé l’acidité typique de la fermentation lactique, elle sera le support idéal, c’est à dire neutre pour restituer le bon goût du chocolat dans ses truffes et ganaches.
Ah, la ganache : tellement maltraitée par la profession ! Ce simple mélange de crème, de sucre (glucose) et de couverture de chocolat présente des enjeux bien plus techniques que l’on pourrait imaginer ! Fourrage principal des bonbons de chocolat, elle doit se conserver… un certain temps ! D’où l’usage des crèmes UHT aseptisées. Et malgré tout, selon l’inexpérience du professionnel la ganache peut tourner au désastre. Et bien cachée sous son enrobage chocolaté, elle peut subir toutes sortes de dégradations, perdre son goût dans le meilleur des cas voire virer roquefort dans les cas les plus extrêmes ! Alors utiliser de la crème crue, pensez-donc !
Et pourtant les ganaches inimitables de M. Henry restent stables et gardent leur bon goût 30 jours durant minimum !
Un miracle de technicité ? Non, juste la confiance d’un fils de la campagne envers mère nature qui, dans sa bonté, a pourvu la crème crue de tout un tas de bactéries sympathiques qui protègent naturellement ses ganaches des organismes plus pathogènes ou destructeurs. Et la recommandation d’un médecin nutritionniste qui lui a conseillé de ne pas dépasser la température de 60°/70°C (donc sous la température de pasteurisation !) afin de préserver les anticorps naturels.
Les chocolatiers qui ont inventé mille ruses à base de machines sous vide et de surgélation, accros aux additifs et autres stabilisateurs généreusement répandus dans la profession par des entreprises bien établies, peuvent aller se rhabiller !
Un artisan qui prend de telles précautions dans son sourcing de matière première mérite bien que l’on prenne un train de banlieue gare St Lazare, même aux heures de pointes pour venir découvrir ses 2 antres gourmandes planquées au beau milieu de Colombes depuis 25 ans !
Car ce n’est pas tout, le chocolatier est aussi à l’origine d’une innovation étonnante : les ganaches à l’eau minérale ! De la Volvic, selon les conseils d’un ami japonais qui l’avait expérimentée pour ses propres infusions de thé. Au début des années 2000, le chocolatier fournissait jusqu’à 1000 bonbons de chocolat à un célèbre palace du Triangle d’Or. Or celui-ci n’était pas climatisé et entre les chocolats laissés dans les chambres des clients et une confiance moyenne dans la façon de gérer les rotations de ses livraisons, Mr Henry n’avait qu’une frousse, surtout les mois d’été, c’est qu’un jour ses produits soient mis en cause dans l’intoxication de la clientèle. Il chercha une recette alternative pour éviter les produits sensibles dans ses bonbons de chocolat : la crème principalement pour une conservation hors des frigos. Il tenta l’huile d’olive, mais le goût était trop marqué. Puis il essaya l’huile de colza, que l’on commençait à savoir désodoriser (elle sentait un peu le chou avant cela), et par un savant mélange avec l’eau de Volvic il obtint des émulsions extraordinaires et tout à fait stables ! Ses ganaches à l’eau trouvent aujourd’hui un public inattendu : la communauté vegan !
Vegan ou pas, il faut, sans aucune hésitation et tant qu’il est encore temps – M. Henry étant proche de la retraite – découvrir ce véritable Maître Yoda de la profession, passé hors des radars des foodistas, le secret le mieux gardé de ses pairs !
Né en 1952, d’abord formé au métier de boulanger, il monte à Paris à 17 ans pour travailler dans la célèbre maison Carette de la place du Trocadéro.
Là, dans les sous-sols de la maison, il fabrique fruits déguisés et petits gâteaux sous l’œil expert de Mr Marion, son chef ayant fait lui-même son apprentissage chez Gourmaud, la très grande maison de l’époque. Après l’obtention chez Ferrandi de son CAP pâtissier, il travaille sous les ordres du célèbre Robert Linxe de la Maison du Chocolat, puis comme glacier chez Lenôtre (à l’époque du « grand Lenôtre » !) ou chez les frères Roux à Londres. C’est lorsqu’il est en place en tant que chef pâtissier du Fouquet’s qu’il a l’idée de valoriser les tonnes d’écorces d’orange que laissent les commis après avoir pressé les jus d’oranges des petits déjeuners. Il transforme ces déchets en magnifiques orangettes confites – technique qu’il avait observée chez Carette, où les orangettes, confites doucement au coin du poêle à charbon, servaient de décor à de petites pièces rectangulaires parfumées au Grand Marnier – pour le plus grand plaisir du patron de l’époque, ravi d’offrir à ses clients des gratuités à moindre coût !
En 1992 il décide de commencer sa propre activité de confiseur à Colombes, où encore aujourd’hui, les orangettes, qui requièrent pas moins de 2 semaines de confisage, sont dans les tops de ses ventes.
Il commence par fournir toutes les grandes maisons (il garde encore à ce jour quelques clients prestigieux qu’il chouchoute), avant de s’apercevoir que « celui qui gagne de l’argent est celui qui possède l’enrobeuse ! » Alors il étoffe sa gamme avec des bonbons de chocolat et devient pleinement chocolatier.
Dans ses 2 boutiques l’Atelier du Confiseur, vous trouverez régulièrement quelques innovations étonnantes, mais jamais bling-bling, toujours avec ce petit côté artisanal qui leur donne tout leur charme. Il source des feuilles de menthe et de verveine bio, glacées au sucre individuellement puis recouvertes d’une fine couche de chocolat – jetez vos After-Trucs à la poubelle ! – et se fournit chez le meilleur spécialiste de Rungis pour ses fruits secs et autres amandes qu’il ne maltraitera pas par une sur-torreffaction, mais qu’il chauffera à chaleur tombante du four, pour obtenir « presque comme une saveur de beurre manié ». Lui même et ses équipes à qui il laisse des marges de manœuvre créatives expérimentent toutes sortes d’ingrédients dans leurs recettes : saké et riz cuisiné, bi-couches de caramel et de compote de pomme, infusions herbacées… et même œufs de saumon, dès 2011, bien avant que la célèbre Maison du Chocolat ne choque les gourmets avec ses créations au caviar !
À l’heure où l’on écrit ces lignes, aucun train ne part de la Gare Saint Lazare, pour cause de pannes et autres intempéries, mais trouvez une solution pour vous rendre chez M. Henry. Son cœur d’or et son envie perpétuelle de ravir sa clientèle sont tout simplement irrésistibles.
Par Eri Ikezi et Fabrice Bloch