Florent Ladeyn & Cie.,
les gens du Nord

Deux maraîchers. C’est tout ce qu’il lui faut, à Florent Ladeyn. Il sert 200 couverts par jour en circuit court dans ses deux restaurants, le Bloempot à Lille, cantine urbaine toute en récup’, et l’Auberge du Vert Mont, son gastro champêtre étoilé à Boeschepe. Il a aussi un petit potager maison « pour palier à certains manques, notamment pour les infusions en hiver », et ça lui suffit. Tout ce qu’il cuisine vient des Flandres, à part son sel qui vient de Guérande, et même ça va bientôt changer.

Quand l’extrémisme a du bon
Extrémiste ? Allez-y, balancez le mot, ça ne lui fait pas peur. Florent Ladeyn est au contraire très fier de tendre chaque jour davantage vers son but ultime, le 100% local. Fier aussi de fournir un débouché aux produits du coin et aux mecs qui se cassent le dos pour les faire pousser, en bio ou en biodynamie. L’avantage avec le circuit court, c’est qu’on connaît ses fournisseurs. On sait comment ils bossent, on sait ce qu’ils ont et ce qu’ils vont avoir, on peut discuter avec eux quand ils passent – tous les jours – ou aller les voir pour leur demander des trucs. Par exemple, on peut dénicher des oies des Flandres, une espèce autrefois au bord de l’extinction, pour les élever. Il suffit d’aller voir le copain qui fournit la volaille, comme cette pintade dont on fait sécher les jambons au Vert Mont en ce moment.

Dries Delanote le Belge, Bertrand Devienne le voisin
Bien souvent, les restaurateurs dépendent de leurs producteurs et les considèrent comme des êtres précieux, mais trop déconnectés de leur réalité pour totalement les suivre ou les comprendre. Ici chez Florent, les choses sont bien différentes. Ses maraîchers sont des amis. Comme lui, ils sont du coin. Ils parlent la même langue – ou plutôt, le même langage. Ils parlent surtout de la même chose et ne se considèrent pas comme des créatures étranges. Dries Delanote le Belge est à Dikkebus, juste de l’autre côté de la frontière toute proche, et Bertrand Devienne, dit Béber, est au Steent’je, à 6 ou 7 kilomètres à vol d’oiseau de l’auberge. On traverse les blés et les houblonnières pour leur rendre visite.

Une jungle organisée en Belgique
Chez Dries, des champs à perte de vue, avec des belles limaces bien grasses dedans, « un truc que tu ne verras pas chez tous les paysans », et une serre, immense, évidemment pas chauffée, aux faux airs de jungle. En fait, l’espace a été pensé avec beaucoup de rigueur. Là, les dernières endives de la saison, que j’ai mangées à midi. Ici, des poireaux qui montent en fleur, dont Dries parle avec beaucoup de finesse, les comparant à des femmes enceintes. Florent est ravi à l’idée de jouer les accoucheurs. Il va griller les blancs au barbecue, en sortir la fleur et faire une mayonnaise avec le vert. Et puis, scène exceptionnelle, il y a un tracteur aujourd’hui. Chez Dries, ça n’arrive jamais. Trois gars sont à l’arrière et plantent des salades en chantant. Ils sont hilares. Dries explique : « Ils sont très contents parce qu’ils sont sur une machine. » C’est tellement rare que c’est la fête. Ils plantent, ils chantent, ils doivent finir avant la pluie. L’un d’entre eux bougonne : « J’ai faim ! » Des gosses.

7,8 hectares de serres et de champs à deux pas de l’auberge
Chez Béber, coupe mulet et dreadlocks, si si, les choses sont pour l’instant un peu moins organisées. Dries est installé depuis huit ans, Béber seulement deux. Avec sa compagne Louise Derhille, ils ont récupéré 7,8 hectares après une formation au bio en Hollande, ont posé quelques serres et tunnels, et planté pas mal d’arbres, surtout des variétés anciennes du coin. Ils essaient aussi d’acclimater des espèces plus méridionales, presque plus pour s’amuser qu’autre chose, et c’est plus compliqué. Louise est sûre qu’elle a vu une amande sur son amandier. Elle la cherche pour nous la montrer, mais ne la retrouve pas. Tout le monde est plié en deux.
Les navets et les radis en revanche, ils marchent du tonnerre. Les haricots verts commencent à arriver, les fèves sont en fleurs, les choux-raves sont à point. Florent en fera des rubans qu’il enroulera en bobines et qu’il fera cuire avec presque rien, du bon beurre, de la sauge. Un mille-feuille végétal qui demande un boulot insensé et vaut vraiment toute cette peine.

Cuisiner en famille
« Tu comprends pourquoi je veux les faire bosser ? », me demande Florent sur le chemin du retour. Oui. La cuisine du Bloempot et du Vert Mont se fait en équipe, et pas juste une équipe de cuisiniers. C’est une grande famille qui s’est formée par là-haut, qui donne leur goût aux plats servis chaque jour. Une famille qui s’adapte, se contraint, se fixe des limites et s’ouvre des horizons. C’est beau, c’est bon. Vous ne trouverez pas ça ailleurs. Alors, plutôt que de chercher à manger le monde entier de chez vous, allez-y, vous goûterez du pays.


Le Bloempot
22 rue des bouchers
59800 Lille

L’Auberge du Vert Mont
1318 rue du Mont Noir
59299 Boeschepe

 

Written By
Plus d'articles de Camille Oger

Le câprier, pour les gros nuls

Il n’a jamais soif et il résiste à tout, sauf au froid :...
Read More