DOMAINE : CHÂTEAU LASSOLLE
Stéphanie Roussel
La petite histoire : le premier contact se fait par téléphone, un mois et demi, environ avant notre venue au domaine. Stéphanie accepte après m’avoir bien écouté et me propose de déjeuner avec elle… à condition que j’apporte quelque chose et que nous cuisinions ensemble.
Pressé par le temps, j’omets de confirmer le rendez-vous et, arrivé sur place, Stéphanie démarre directement par un « Vous n’avez pas rappelé… et aujourd’hui, c’est un mauvais jour, mauvais karma et je suis de mauvaise humeur ! » Je propose, en m’excusant, de remettre cet entretien à une autre fois, mais au bout de quelques minutes, les choses se sont adoucies et nous allons au chai où nous dégustons un rouge et un blanc bruts de cuve. Je tente de capturer une image, « Arrête ça, ne me prends pas en photo, j’ai pas envie et c’est pas le bon jour… » Je m’exécute, le lecteur nous pardonnera donc, je l’espère, l’absence de Stéphanie sur ce sujet. Je précise toutefois que nous avons ensuite déjeuné et passé un très joli moment ensemble : Stéphanie prépare quelques pommes de terre et un morceau de viande de bœuf de Bazas sur une plancha. Il fait 32°C, le ciel est radieux et silencieux… Ne manque que les cigales, encore endormies en ce début juin pétaradant.
Vraiment pas le bon jour…
« J’ai deux amphores de rouge qui partent en live… En quinze années de vinification, c’est la première fois que ça m’arrive », annonce Stéphanie en rentrant dans le chai et en désignant deux grosses jarres en terre cuites. Le chai sent la moisissure, le vin et le bois. « Tiens, goûte ça », un blanc légèrement turbide est prélevé dans une autre amphore et vient remplir nos deux verres… Superbes notes de vin nature, très nature ! « J’ai d’abord fait du droit et une école de commerce puis en 2002 tout a commencé, on avait acheté les vignes à la grande époque avec un financier anglais, on avait fait faire la piscine, le cours de tennis… je suis passé aussitôt à la biodynamie. J’ai été rude avec ma nature. Je l’ai violée, j’ai fait la conversion sans transition, en force. J’avais la trentaine à l’époque. Maintenant les choses sont bien installées ». En effet, la vigne est pleine de vigueur, les apex pointent le ciel avec fierté et, la fleur passée, les grains se forment.
Les emmerdes volent en escadrilles
« Je viens de casser mon pulvérisateur… On m’en a proposé un à 15 000 euros, mais pas possible. Je préfère réparer, je ne sais pas encore comment, et préserver mes deux salariés ». On sent bien qu’au domaine, la vie n’est pas rose tous les jours. « En 2007 et 2008, j’ai tout perdu avec la grêle. Et cette année j’ai un peu gelé » La rudesse de la nature et la rudesse tout court accompagnent la vie de Stéphanie qui tient seule le domaine, envers et contre tout. Pendant le déjeuner, nous vidons, ou peu s’en faut, un superbe Abouriou nature. Puis Stéphanie s’éclipse un moment pour revenir avec une autre bouteille, étiquetée celle-ci. Je goûte alors un vin capiteux, d’une invraisemblable complexité, à des lieux du premier, bien extrait, élevé. Un grand Pomerol ? Je perds tous mes repères et pointe une émotion comme on en a parfois, quand on parcourt les vignes à la recherche d’on ne sait quoi d’ailleurs. « C’est un Cabernet franc. Tu vois, je sais faire du vin nature, mais je sais aussi faire ça ». Le repas touche à sa fin, je reste « cloué » par cette incroyable quille dont je demande à Stéphanie de m’en vendre un ou deux exemplaires. « Non, pas question, je n‘ai pas envie que tu mettes ça dans ton coffre, j’ai pas envie de t’en vendre. Si tu en veux, tu reviendras ». Je prends congé car je suis déjà très en retard. Et en roulant dans le verte campagne marmandaise, me restent le sourire de Stéphanie et les arômes célestes de son cabernet franc : je ne risque plus rien pour le reste de cette magnifique journée…
La dégustation
Elle n’a pas eu lieu, ou plutôt si, mais de manière si informelle (et intime) qu’en faire une relation, ici, n’aurait pas de sens. Un mot juste sur les 3 vins dégustés qui debout près des foudres, qui sur la terrasse, à l’ombre de la superbe charpente en bois. Diversité, naturalité et précision… À noter que les vins du château Lassolle sont presque tous exportés (au Japon, en particulier) et donc pas toujours faciles à suivre.
Le questionnaire de moût…
Le jour où vous avez décidé de faire ce métier ?
– Je ne sais pas, mais je sais qu’à 7 ans je voulais faire du vin et du vin nature. Bien plus tard, la rencontre avec un des très grands du vignoble bourguignon m’a encore plus incitée…
Votre premier souvenir professionnel ?
– M’être dit que seuls les bons raisins font les bons vins.
Votre première joie professionnelle ?
– Un jour, il y a assez longtemps, j’étais au restaurant chez un étoilé, et le couple à côté avait choisi un de mes vins, un Sauvignon gris. Ils semblaient si heureux…
Votre première déception ?
– Constater que même si tu donnes tout à la nature, elle peut quand même te rejeter. Elle peut se montrer très ingrate…
Qu’est-ce que c’est votre métier ?
– Respecter la nature, donner le maximum dans mon terroir, faire vivre une entreprise.
Qui vous a le plus appris ?
– La vie, l’expérience, les rencontres.
Votre plus belle réussite ?
– Joker
Votre plus belle foirade ?
– Je ne sais pas, ce serait perdre ma capacité d’émerveillement.
Ce qui vous plaît le plus ?
– La vue sur mes vignes, m’émouvoir encore chaque matin…
Ce qui vous sort par les yeux ?
– Le mensonge, la perte d’intégrité, la déconnexion avec l’ensemble.
Les vraies difficultés du métier ?
– Joker
Et si c’était à refaire ?
– …?