Elle a fait son expérience dans une foule d’endroits. Mais c’est sa Touraine natale qu’Isabelle Pangault a choisi pour enfiler le « costume » de vigneronne. Pas un hasard et, vu la pertinence de sa démarche et de ses vins, une sacrée bonne idée !
Àtrès gros traits, il existe deux catégories de vigneron(ne)s. Celles et ceux qui sont nés dans le chai ou presque, issus de « dynasties » enracinées dans le vignoble parfois depuis des générations et des générations. Et les « néo » qui ont opéré un virage à 180°, abandonné une première vie professionnelle pour s’en inventer une autre et faire du vin. Isabelle Pangault raconte qu’elle a « découvert le vin par la barrique ».Elevée en Touraine, elle a grandi dans une famille de forestiers à la tête d’une scierie et, logiquement, a orienté son parcours étudiant dans cette direction. Un jour, son père l’embarque à une dégustation destinée à mesurer l’influence du bois sur un même vin élevé dans des fûts de chêne d’origines différentes… Au-delà du constat que le vin s’exprime différemment d’une barrique à l’autre, elle entrevoit alors la dimension sensorielle du vin. Une révélation ! Et le début d’une longue histoire, avec pour commencer l’obtention d’un diplôme d’œnologue à Montpellier.
Pendant dix ans, elle exerce son métier avec une curiosité sans borne, l’idée d’engranger un maximum d’expériences et d’approcher « les mondes du vin », comme elle dit. Viti, vini, marketing du vin, elle fréquente le négoce, les prestigieux châteaux bordelais, file travailler en Inde, vinifie et fait connaissance avec les grands marchés étrangers pour une coopérative languedocienne… Toucher à tout pour mieux savoir où on est !
Elle s’aperçoit que la planète des vins « technos » n’est pas son terrain de jeu préféré.
D’un point de vue plus personnel, l’envie d’un retour aux sources et la naissance de son fils, qu’elle veut voir grandir auprès de ses grands-parents, la pousse à quitter le grand Sud pour revenir vers sa Touraine natale. Là, même si elle n’est pas une experte du pilotage de tracteur et si elle n’a pas de la terre, elle se convainc petit à petit de son destin de vigneronne. Dans la région, de nombreux viticulteurs partent à la retraite sans repreneurs… C’est le cas d’un vigneron de Sassay, dans le sud du Loir-et-Cher, sur les terres solognotes de ses jeunes années. Isabelle le rencontre et tombe amoureuse de l’endroit : « ici, ce n’est pas la mer de vignes à perte de vue. Celles-ci s’inscrivent au sein d’un paysage vivant composé aussi de marais, de haies, de bois ». Elle se lance donc sur quatorze hectares de vignes perchées sur un petit dôme, aimable éminence dans une région où le relief n’est pas d’une folle exubérance. Le domaine de l’Affût est créé. Pourquoi ce nom ? Pour la position haute de la propriété, l’évocation du petit bâti forestier derrière lequel les chasseurs se cachent pour guetter le gibier, la nécessité pour les vignerons d’être toujours aux aguets ou l’analogie avec le surnom que lui donne son mari, « la sentinelle ».
La voilà donc vigneronne, une forme d’aboutissement mais surtout, début 2018, le début d’une nouvelle vie et l’obligation de « s’y coller ». La première année, Isabelle fait connaissance avec le domaine. Dès la deuxième, elle entame une conversion bio. Pas à pas, elle poursuit son chemin, investit, précise son savoir-faire : déjà, bien maîtriser les pratiques bio, ne pas se laisser dépasser par l’herbe dans les vignes, dynamiser la biodiversité, retrouver des équilibres naturels, adapter le tout à chaque parcelle, peut-être planter des céréales et autres légumineuses au milieu des rangs de vignes, et sans doute tendre vers la biodynamie.
Développer une connivence de plus en plus intime avec ses terroirs, il faut du temps pour ça.
Séduite par la beauté des lieux lors de sa première visite, elle l’est toujours et de plus en plus : « a fortiori sur le haut du dôme, où se dressait un moulin autrefois, l’exposition au vent permet de vite sécher l’humidité, ce qui permet de limiter les risques de maladies cryptogamiques ».
En Touraine, le sauvignon prend toujours plus de place. Isabelle file à rebours de cette tendance, cultive et renforce une grande diversité de cépages. Aux sauvignon, chardonnay, chenin, menu pineau, gamay, cot, cabernet sauvignon et pinot noir qu’elle possède déjà, elle ajoute – ou va ajouter – de nouveaux cépages, des anciens plutôt, locaux, comme le fief gris, le romorantin ou le pineau d’Aunis. Toujours cette curiosité, en plus du souci de maintenir une diversité et un patrimoine ampélographiques. « C’est un peu bête de se fermer sur un cépage. Je crois beaucoup à l’assemblage pour trouver de l’équilibre dans les vins », précise-t-elle.
Sa philosophie au chai ? « Lors des vinifications, j’essaie d’être sur un fil. Intervenir le mois possible pour rester au plus proche des terroirs et de la vendange, et maîtriser les choses pour rester droit au niveau de la pureté et du fruit ». Un nouveau chai va être construit pour qu’elle puisse vraiment travailler à sa main. Pour l’instant, elle vend encore un peu de raisins à des collègues qui font un rien de négoce. Le reste de la vendange, elle le garde pour elle, pour ses trois cuvées. Instinctive est un assemblage de sauvignon et d’un peu de chardonnay, un vin au profil très mûr, expressif, très gourmand, qui prend à contrepied les penchants parfois peu reluisants du sauvignon, comme cette acidité mordante ou des notes aromatiques pas très flatteuses. La deuxième cuvée ? Nebula 1894, comme l’année de plantation des gamays de cette parcelle de 38 ares. Il faut bichonner ses vieux ceps tortueux, œuvrer avec délicatesse, à la main, au cheval. Elevé en cuve tronconique, le vin se révèle juteux, sanguin, tenu par des « tannins bien présents mais pas râpeux ».
Orchestrale, elle, est née d’un aléa climatique qui avait bien fait maigrir la vendange. Alors, Isabelle a assemblé les raisins rouges rescapés, en majorité du cabernet sauvignon et du côt, pour un vin de à la fois fluide et mûr, élevé neuf mois en terre cuite. « Ce que j’adore, c’est quand on a un joli fruit, un milieu de bouche bien rempli, une finale soyeuse et relevée. Donc je m’éclate avec les syrahs du nord de la vallée du Rhône, et sur certains gamays du Beaujolais ou des Côtes roannaises, comme ceux de mon ami Romain Paire »…
Désormais bien ancrée dans sa Sologne viticole et ses terroirs singuliers de sables sur argiles d’un plateau légèrement surélevé, Isabelle est assurément sur le bon chemin…
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