Avant la crise sanitaire, les secteurs de la restauration et de l’hôtellerie manquaient de personnel. En 2019, il se disait que 200 000 emplois étaient non pourvus et les prospectives parlaient de 308 000 à l’horizon 2022. Et que croyez-vous qu’il arriva ? Nous y sommes déjà puisqu’environ 100 000 salariés ont changé de métier depuis le début de la crise de la Covid-19. Et si le bien-être humain était au centre des préoccupations des employeurs pour redonner de l’attractivité à ces métiers ?
Les 16 et 17 juin 2021, le chef de cuisine de La Mare aux Oiseaux en Loire-Atlantique, Éric Guérin annonçait sur les réseaux sociaux : « pour respecter le bien-être de mon équipe, le restaurant fermera désormais ses portes à minuit. » Dans la foulée, le chef aux 54 500 followers sur Instagram explosait son nombre de commentaires. 393 pour la seule journée du 17 juin contre une petite trentaine habituellement quand il poste une photo de plat, et tous – chefs, employés, clients – de saluer son initiative avant pour certains, de l’appliquer immédiatement dans leurs établissements à l’instar de Luc et Isabelle Mobihan du Saint-Placide à Saint-Malo ou Isabelle et Franck Renimel du restaurant En Marge à Auréville en Haute-Garonne.
Pourquoi cette prise de décision ?
Éric Guérin. Le 9 juin, quand les restrictions ont été assouplies et que le couvre-feu a été repoussé à 23h00, on a revu les horaires de service en demandant aux clients d’arriver plutôt vers 19h00. À partir de 22h45, nous avons commencé à baisser l’intensité des lumières pour leur faire comprendre, tout en délicatesse, que la fermeture du restaurant était imminente. À 23h00, il n’y avait plus personne, les cuisines étaient nettoyées, la pâtisserie qui habituellement finit plus tard aussi et j’étais chez moi à 23h40 sans avoir croisé le veilleur de nuit. Impensable dans ma vie de cuisinier et de chef d’entreprise. Habituellement, je suis à la maison entre 1h00 et 2h00 du matin.
Quand nous avons compris que nous pouvions assurer un service sur la base d’un couvre-feu à 23h00, je me suis dit que désormais, la fermeture serait fixée à minuit ce qui signifie qu’une grande partie des équipes, notamment en cuisine, part à la même heure.
Et puis, une très large majorité des commerces a une heure de fermeture fixe. La restauration, c’est totalement aléatoire. Quand il restait une table de deux qui papotaient, nous restions ouverts, attendions leur départ et mobilisions du personnel. Pourquoi notre métier n’imposerait pas un horaire de fin de service ?
Comment vos équipes ont réagi ?
Elles sont heureuses de cet aménagement et m’ont chaleureusement remercié. Elles se couchent plus tôt, se reposent davantage et je suis intimement convaincu que de cette façon, nous pouvons les fidéliser. Le travail ne doit plus être une pénibilité mais un épanouissement personnel. Nous, restaurateurs, vivons dans le stress de ne pas trouver de personnel ou de ne pas le conserver. J’ai des collaborateurs qui s’apprêtaient à partir à l’étranger. Ils sont finalement restés. Et d’autres qui étaient déjà parties depuis un certain temps et qui m’ont recontacté pour revenir.
La clientèle est-elle prête à accepter cette démarche ?
Lorsqu’il y avait le couvre-feu, les clients attendaient la dernière minute pour partir mais veillaient à respecter les restrictions. Fermer à minuit, n’est pas une restriction mais je me rends compte que la clientèle comprend très bien la démarche. Il y aura toujours une poignée de réfractaires, c’est inévitable, comme sur d’autres sujets. Globalement, les premiers retours sont positifs et ce qu’ils apprécient finalement, c’est de ne pas rentrer trop tard chez eux et me félicitent d’avoir pensé au bien-être de ceux qui leur ont fait passer une bonne soirée et ont compris que mes collaborateurs avaient eux-aussi, une vie.
Avez-vous l’intention de trouver d’autres aménagements ?
Je vais arrêter le service du mercredi midi. Le week-end de mes employés, c’est le lundi et le mardi. Ils sont jeunes, le dimanche soir, après le service, ils sortent et en font de même souvent le lundi soir. En somme, ils n’ont que le mardi pour récupérer avec une fin de journée marquée par le blues comme d’autres l’ont le dimanche soir. Désormais, ils commenceront à 14h00 sans stress car deux personnes de la brigade viendront le matin réceptionner les marchandises et relancer la maison. Le reste du personnel arrivera détendu à 14h00 pour la mise en place du service du soir.
Si vous réduisez le nombre de couverts au profit du bien-être de vos collaborateurs, vous perdez de l’argent.
Détrompez-vous. Des équipes plus reposées et reconnaissantes, ce sont des équipes qui se donnent beaucoup plus. En quinze jours d’application, je me rends compte qu’ils placent plus de grands menus et vendent plus de grands vins. La perte du chiffre d’affaires des couverts est compensée par les à-côtés.
Votre démarche a été saluée par de nombreux confrères. Imaginez-vous une généralisation du système ?
Pour le moment, pas un mot des organisations syndicales mais ce que nous vivons aujourd’hui en tant que chef d’entreprise dans la restauration, nous l’avons-nous-mêmes créé. L’image négative donnée de nos métiers, nous l’avons entretenue. On ne peut pas constamment se plaindre sur les difficultés de recrutement et ne rien faire. Libre à chacun de le mettre en place et ce n’est pas si compliqué et je suis convaincu qu’améliorer les conditions de travail de nos collaborateurs, c’est participer à rendre le métier plus attractif.
Un point de vue qui rappelle une maxime du fondateur de Virgin, Richard Branson « si vous prenez soin de vos employés, ils prendront soin de votre entreprise. » À méditer !
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Philippe Toinard – Rédacteur en chef de la revue 180°C