Point culminant d’un parisianisme qui s’autoalimente, la série Dix pour cent n’a-t-elle pas été l’épisode de trop dans la filmographie de Cédric Klapisch ? Entendons-nous bien, si la série par ses qualités d’écriture joue de manière ludique et contemporaine avec la fascination du spectateur pour les comédiens (qui sont-ils dans « la vraie vie »), il y a une forme d’impudeur à ce que le monde du cinéma (forcément parisien) filme son entre soi. C’est à la fois un exercice autocritique, à la fois un sujet narcissique, comme si la société de l’audio-visuel ne trouvait plus qu’elle-même à raconter.
En cela Cédric Klapisch, réalisateur de deux épisodes, superviseur de la série, filme ce qu’il connaît le mieux : Paris et les acteurs. Or, ce cinéaste de l’urbain, amoureux d’un Paris des arrondissements (Le Péril Jeune – 1994 ; Chacun cherche son chat – 1996 ) déplace pour la première fois sa caméra à la campagne. Pas n’importe laquelle : la Bourgogne, pas de n’importe quelle manière : il filme le retour à la terre, aux saisons, à la temporalité (en témoigne un plan d’ouverture élaboré).
Ce film apparaît comme un cru gourmand au milieu des différentes cuvées qu’approvisionnent les saisons cinématographiques
Filmographie capitale
Ce qui nous lie ne serait-il pas la réponse d’une filmographie des capitales (Paris, Barcelone, Londres, New-York), au moment où son Est parisien chéri en vient à une saturation fooding, à un débordement de gentrification ?
Magnifiquement appelé Le vin et le vent lors de son titre de travail, ce film apparaît comme un cru gourmand au milieu des différentes cuvées qu’approvisionnent les saisons cinématographiques. Car le cinéma gastronome est un genre, le cinéma des vignes un sous-genre, appréciable ses meilleures années chez Alexander Payne (Sideways – 2004) ; Gilles Legrand (Tu seras mon fils – 2011) ou Benoit Delepine et Gustave Kervern (Saint-Amour– 2016). Autant de noms d’auteurs, comme on peut lire aujourd’hui sur les étiquettes des vins natures, qui rappellent la politique des auteurs : ce mouvement théorique emmené par François Truffaut et Les Cahiers du cinéma qui affirma que la paternité d’un film revient à celui qui le dirige, et non à celui qui l’écrit ou le produit.
Le rapport des gens des villes à l’agriculture ou à la nourriture est en train de changer – Cédric Klapisch
Si les rapprochements entre le lexique du vin et du cinéma sont pléthores, c’est bien cette dimension politique qui éclot dans les préoccupations actuelles : « J’ai ressenti la nécessité de filmer quelque chose que je n’avais jamais filmé auparavant. Ce besoin de nature a été plus fort que moi. Je ne sais pas si c’est lié à mon âge mais je pense que ça s’accompagne aussi d’un tournant sociologique que je ressens aujourd’hui. Le rapport des gens des villes à l’agriculture ou à la nourriture est en train de changer. Ce n’est pas juste un phénomène de mode. Les gens des villes ont beaucoup plus besoin d’atténuer les frontières entre le monde urbain et la campagne » confie le metteur en scène.
Goûts uniformisés ?
Car la question de l’identité, de l’implication, face à l’industrialisation fait cause commune avec le cinéma : veut-on d’un vin signé, exprimant la personnalité d’un terroir – d’une écriture – ou encourageons nous un goût uniformisé, comme une certaine tendance Hollywoodienne ? Aussi, à la suite du Mondovino de Jonathan Nossiter (2004) – cinéaste sur lequel il faudra se pencher à nouveau et qui partage Santiago Amigorena avec Klapisch (coproducteur de l’un, co-scénariste de l’autre), mais aussi Jean-Marc Roulot, le comédien-vigneron – le film pose narrativement les questions de la biodynamie : toutes les décisions prises en amont ont une implication (éthique, économique et gustative) sur le destin du vin : Ce qui nous lie. Si Jean, le personnage incarné par un Pio Marmaï de plus en plus convaincant, revient d’un long voyage vers la terre du père, alors qu’il sait celui-ci condamné, ce n’est sans doute pas par hasard : « J’ai connu le vin par mon père – qui ne boit pratiquement que du Bourgogne. Jusqu’à il y a peu de temps il nous emmenait en Bourgogne mes sœurs et moi faire des dégustations dans des caves. C’était une sorte de rituel, une fois tous les deux ans à peu près. ».
Plaisir jusqu’à la mort
Nous avons tous en nous le besoin d’aller contempler les vignes, d’arrêter le temps. A l’encontre des pavés, du béton, reprendre le sentier. Nous avons en nous un projet épicurien, lequel ne se révèle que face à la mort. Le plaisir jusqu’à la mort, chez les disciples d’Aristide de Cyrène : les hédonistes. Le plaisir par l’ataraxie, la vie douce et la réappropriation du temps chez les disciples d’Épicure.
Le vin n’est-il pas ce fluide de terre qui nous traverse et, s’il est travaillé en accord avec la nature, fait de nous un peu de ce paysage, loin des tuyauteries, des gaz d’échappements, de la ville, des publicitaires ?