À ma gauche, le monde agricole, les céréaliers, la meunerie et les artisans boulangers. À ma droite, Michel-Edouard Leclerc et sa baguette au prix bloqué de 29 centimes. Au centre, des cris d’orfraie, des invectives, des débats, des polémiques, un dialogue de sourds et un emballement médiatique éphémère sur la base d’un verbe totalement détourné de son contexte : bloquer.
Invité le 11 janvier 2022 d’« Apolline Matin » sur RMC et RMC Story, Michel-Edouard Leclerc annonce qu’il bloque – et non qu’il baisse – le prix de la baguette de 250 grammes à 29 centimes et ce pour une période d’au moins 4 mois « en prenant sur sa marge ». Bloquer signifie que le prix reste le même et ce malgré l’augmentation des matières premières comme l’indique, Michel-Edouard Leclerc « pour une baguette premier prix, une baguette industrielle, du pain blanc… ».
L’emballement médiatique s’amorce, s’amplifie et le verbe « bloquer » disparaît parfois au profit d’autres verbes qui n’ont plus du tout le même sens, surtout si vous n’avez pas écouté les propos de Michel-Edouard Leclerc ou vu sa campagne de publicité. Ainsi, on parle ici et là de « casser les prix », de « brader les baguettes », « de dégainer la baguette à 29 centimes », « de lancer une baguette à moins de 30 centimes » ou encore de « fixer le prix de la baguette à 29 centimes » alors que ce prix est le même depuis un an dans cette enseigne – même si certains magasins sont parfois en-dessous (23 centimes) ou au-dessus (32 centimes) – et personne, ni la FNSEA, ni les céréaliers, ni les meuniers, ni la Confédération nationale de la Boulangerie n’y trouvaient rien à redire d’autant que Leclerc n’est pas la seule enseigne à pratiquer ce type de prix.
Dans les heures qui suivent cette annonce, le camp d’en face monte au créneau et fustige les annonces de Michel-Edouard Leclerc en le traitant notamment « de démagogue », en l’accusant « de saigner l’agriculture française » et en lui intimant un jour « de rendre des comptes » dixit Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. Rappelons au passage à madame Lambert qu’au printemps 2020, en plein confinement, elle avait appelé la grande distribution à l’aide pour soutenir la filière fraises et asperges de France et que face à l’engagement des enseignes, elle les avait toutes chaleureusement remerciées pour leurs efforts en ce sens… Leclerc incluse.
Si une partie des médias a effacé le verbe bloquer de ses titres, les responsables des différentes filières citées ci-dessus, ont, quant à eux, fait preuve majoritairement d’une mémoire très sélective car des baguettes premier prix – évidemment totalement incomparables sur le plan gustatif avec les baguettes proposées chez un artisan boulanger – il en existe partout en France depuis belle lurette et elles sont vendues entre 30 et 40 centimes ce qui explique un prix moyen de la baguette, tous circuits confondus, à 90 centimes selon l’INSEE pour l’année 2021 contre 89 centimes en 2020 et 88 en 2019.
Ces mêmes représentants – que nous n’avons pas entendu pour dénoncer la différence abyssale de prix entre les galettes des rois des grandes surfaces et celles des boulangers artisanaux alors qu’il y avait à redire sur ce sujet – oublient également de préciser que la part de marché des différents circuits dans les ventes de pain est de 55 % pour les boulangeries traditionnelles (33 000 en France), 35 % pour les terminaux de cuisson et seulement 10 % pour la grande distribution. S’il devait y avoir un vrai combat à mener demain pour la boulangerie artisanale, ce serait de se battre contre ces terminaux de cuisson qui vendent des baguettes au même prix ou plus chères que celles d’un boulanger artisanal pour là encore, une qualité qui n’est pas franchement au rendez-vous dans certaines enseignes.
Au final, que dit cette polémique, dont le grand gagnant est Michel-Edouard Leclerc qui s’est offert une gigantesque campagne de promotion gratuite en allant défendre son idée sur tous les plateaux TV ? Que la filière, qui rappelons-le, vend ses matières premières à Leclerc pour qu’il fabrique ces baguettes, semble découvrir, que des millions de consommateurs achètent ce type de baguettes. Pour des raisons financières et dans un contexte inflationniste, ils sont nombreux à ne pas pouvoir se payer quotidiennement une baguette à 90 centimes, 1 euro ou 1,10 euro soit un budget annuel d’environ 330 euros. Il eut été bienveillant de penser à eux et à leurs difficultés plutôt que de parler de provocation.
Philippe Toinard – Rédacteur en chef de la revue 180°C
J’apprécie votre objectivité @Philippe Toinard !
En lisant le titre « Veiller au grain : Bloquer n’est pas baisser » accompagné de la photo d’une baguette, j’ai anticipé à tort un nouveau réquisitoire contre la grande distribution.
Finalement, j’ai bien fait de lire l’article dans son intégralité. C’est effectivement utile et courageux de préciser certaines réalités comme :
– le fait que Leclerc n’a pas bougé le prix de sa baguette 1° prix depuis 1 an.
– l’aide des grandes surfaces dans l’écoulement des fraises et autres asperges en provenance de producteurs français en 2020 pendant le confinement.
– le constat que tous nos compatriotes ne peuvent pas « se payer quotidiennement une baguette à 90 centimes, 1 euro ou 1,10 euro soit un budget annuel d’environ 330 euros. »
180°C qui reconnait certains avantages de la grande distribution, c’est pro et objectif.
Patrick Hannedouche
Merci de votre article objectif et honnête ! Merci de nous aider à prendre de la hauteur dans le déferlement médiatique. Effectivement dans toute ce brouhaha personne n’a pensé à tous ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter quotidiennement la baguette aux grains anciens et à fermentation longue !
Merci de cette précision « bloquer n’est pas baisser. »
J’en profite pour saluer la qualité de votre travail .