Pour l’atteindre, il faut laisser derrière soi l’effervescence de la côte, et suivre la route qui serpente entre les vertes collines de l’arrière-pays basque. C’est ici, sur les hauteurs du petit village de Saint-Pée-sur Nivelle, que Cédric et Marion Béchade ont établi leur Auberge Basque.
Il aura fallu quatre ans de recherche au couple pour trouver la maison idéale, celle qui incarnerait au mieux leur vision toute personnelle de l’hôtellerie. Nous sommes alors en 2007, et derrière la façade traditionnelle de cette maison aux bardeaux de bois et aux volets peints, se développe un projet plutôt novateur pour l’époque : celui de décloisonner le monde de de la gastronomie.
En créant l’Auberge Basque, je souhaitais effacer les frontières entre salle et cuisine, éclaire le chef Cédric Béchade.
Pour moi, être cuisinier-aubergiste, c’est être polyvalent. C’est vouloir enrichir ses connaissances au maximum, ne pas se contenter de rester expert dans son domaine, que ce soit l’accueil, le service, ou la sommellerie… C’est avoir une vision globale de la maison dans laquelle on est ».
Quinze ans plus tard et une étoile Michelin au compteur, le chef est le premier à appliquer à la lettre ces principes. Tout au long du dîner, nous le verrons évoluer entre le passe, où il rectifie un dressage, et la salle, où il débarrasse les convives de leurs manteaux avec autant d’aisance qu’il leur raconte l’histoire de ses plats. Et des histoires, il y en a à raconter.
Chaque assiette se veut l’interprétation gourmande du travail d’un ou plusieurs producteurs, avec qui le chef a établi une relation de confiance, parfois tissée au bout de longues années d’approche. « Cela m’a pris 10 ans de trouver tous ces producteurs, retrace Cédric Béchade. C’est de l’engagement, de l’investissement, mais c’est aussi comme ça que l’on s’enracine dans un territoire. » Petit à petit, le Limousin a fait son nid dans le Pays basque, et la Table de l’Auberge Basque s’enorgueillit aujourd’hui d’une carte 100% producteurs, huiles de cuisson, œufs et farine compris.
Plus encore que du local ou du bio à tout prix, le néo-aubergiste préfère valoriser le produit acheté en direct, auprès d’hommes et de femmes dont il connaît et respecte les méthodes de travail. Les noisettes viennent de l’Huilerie Errota, juste en face de l’Auberge, les châtaignes, de chez Beñat Itoïz, un dingo du fruit à coque, qui les épluche encore une par une, à la main.
Le fait de dire que nous sommes 100% producteurs n’est pas un label, c’est une véritable démarche. Quand on le dit, cela semble évident, mais c’est en réalité bien plus compliqué à mettre en place qu’on ne le pense
. Adepte d’une cuisine sincère, qui valorise le produit plus qu’elle ne recherche l’exploit technique, Cédric Béchade réinterprète avec succès des classiques du terroir basque, à l’image de la piperade, ou des chipirons à l’encre pour nous ce soir-là. Et quand un convive du cru lui dit avec émotion que sa piperade est aussi bonne que celle de son « amatxi » (« grand-mère », en basque), alors c’est gagné.
Cette volonté de mettre en valeur les savoir-faire, le couple l’applique jusque dans la salle et les chambres, où le travail d’artisans locaux est mis en valeur. L’assiette de présentation ? Une œuvre de la famille Cazaux, à Biarritz. Les couteaux ? Création des Couteliers Basques, à Bidart. Quant aux petites dégustations en chambre, ne sont autres que les fameux muxus de la Maison Pariès… « On essaie de faire en sorte que tout ce que l’on développe à l’Auberge Basque soit cohérent, que la salle, la cuisine, l’accueil forme un tout », insiste Cédric Béchade. A une époque où l’on en manque cruellement, le chef et sa compagne ont pris le parti de prendre leur temps, pour développer un projet qui leur ressemble. Et étrangement, c’est ce exactement que l’on ressent lorsque l’on s’attable à l’Auberge Basque : l’impression délicieuse que, le temps ou d’une nuit ou d’un dîner, face aux collines, la course effrénée du monde s’est soudainement arrêtée.
Texte de Coline de Silans