Une étoile perdue en 2018, un défilé de chefs qui peinent à écrire leur histoire dans celle de cette véritable institution gastronomique lilloise… La Laiterie a vécu quelques années difficiles après le départ en 2012 de son chef emblématique, Benoît Bernard. Mais ça c’était avant. Avant que le chef Edouard Chouteau n’investisse le nord avec la ferme intention de rendre sa superbe à la maison, dont on soufflera l’an prochain les 120 bougies. À son arrivée en 2019, il n’a qu’une seule condition : qu’on lui laisse les coudées franches. 2022, les anciens clients reviennent peu à peu, la fréquentation est en constante augmentation et la maison a retrouvé le lustre de ses florissantes années. Pari gagné, le bouche-à-oreille a fait son effet. Mais Edouard Chouteau n’entend pas s’arrêter là : cap vers la reconquête de l’étoile perdue !
Lambersart ou le « Neuilly lillois », comme on surnomme ce quartier verdoyant dont le calme tranche avec l’agitation du cœur palpitant de la métropole, à seulement quelques minutes de là. Sur l’avenue de l’hippodrome est installée depuis plus d’un siècle la longère de La Laiterie, dont le nom évoque ce qui fut autrefois son activité principale. Une histoire qui impose l’humilité, Edouard Chouteau l’a bien compris lorsqu’il s’en est vu confié les clés. « Les clients viennent ici avec une idée précise de ce qu’ils vont trouver à La laiterie, il faut être à la hauteur du repas de famille, du rendez-vous professionnel, du dîner en amoureux… » La cuisine d’auteur n’a pas sa place et c’est tant mieux, Edouard qui s’est affûté auprès de grandes toques comme Pierre Gagnaire, Éric Fréchon, Mathieu Pacaud ou encore Christophe Pelé au Clarence, revendique fièrement une appétence pour cette cuisine classique à laquelle il insuffle sa vision très personnelle de la modernité.
De ses parents restaurateurs et grands-parents agriculteurs, il a hérité ce goût des bons produits de saison. À la carte de la La Laiterie, il conserve cette idée des produits bourgeois, à l’instar du pigeon fourni par cette famille d’éleveurs, la même depuis 40 ans. Patiemment, il tisse son propre répertoire de petits producteurs, un véritable challenge. En effet, celle qui fut autrefois « l’étoile de Lille » a perdu son aura, et le turnover de chefs qui s’en est suivi a laissé l’image d’une maison instable. Edouard entreprend un vrai travail de séduction, rencontre un-à-un les producteurs pour les rallier au projet de renaissance qu’il a en tête. Ils sont aujourd’hui une vingtaine de fidèles : « L’idée, c’était de trouver les produits qui vont faire les recettes, et des producteurs avec lesquels il se passe quelque chose humainement, une envie de travailler, d’avancer ensemble ».
Ce travail de fourmi, comme dit le jeune chef de 29 ans, va lui permettre de construire un éventail de plats conjuguant subtilement classicisme et modernité. À l’aise avec les contrepoints, Edouard Chouteau excelle notamment au moment de marier terre et mer au fil d’un menu dédié savamment orchestré. La partition de l’iode, chère à ce Breton d’origine, est jouée avec beaucoup d’élégance apportant parfois plus de noblesse à des produits considérés comme rustiques. On en veut pour exemple le surprenant plat « Châtaignes et oursins » assorti de ses pâtes fraîches et de sa sauce genevoise.
Bien dans son époque, le chef a aussi compris qu’il fallait adapter l’esprit de La Laiterie – sans pour autant le trahir – aux attentes d’une nouvelle clientèle. C’est en premier lieu à eux qu’il a pensé en imaginant le « Menu esprit végétal ». Malin, bien orchestré autour de sublimes produits de saison magnifiés par la patte d’Edouard et de sa brigade, ce concept proposé depuis le début d’année est un vrai succès. Nombreux sont les végétariens qui franchissent désormais les portes de la Laiterie, flattés de trouver un menu réfléchi et réalisé pour eux et de pouvoir enfin faire l’expérience d’une grande table.
Encore une fois, tout cela n’aurait sans doute pas été possible sans le travail réalisé au départ sur le sourcing des produits et de leurs producteurs. Ce jour-là, Edouard a d’ailleurs rendez-vous avec Sylvain son producteur de champignons de couches.
Il y a quelques années, cet ancien restaurateur de monuments historiques a pris la voie de la reconversion en réaménageant l’ancienne carrière qui servait autrefois à l’extraction de la craie, juste en-dessous de la maison familiale. Un endroit insolite qui donne le vertige plusieurs mètres sous terre. Aussi loin que la lumière artificielle nous permet de voir, on découvre de larges galeries aux paroies crayeuses qui serpentent et bifurquent en tous sens avant d’être engouffrées par le noir complet. Sylvain ne s’aventure jamais très loin, « on est vite désorientés nous confie-t-il » et si la lampe de poche vient à tomber en panne, c’est le drame. Il exploite donc la partie qui se trouve juste sous sa maison, largement suffisante pour son activité.
Pour la petite histoire, ses carrières ont également servi d’abri pendant la guerre avant qu’on ne leur offre une nouvelle vie en tant que champignonnières. Une évidence : avec une température quasi constante de 13°C, 95% d’humidité et le noir complet, les conditions sont idéales pour la culture du fameux champignon de couches. Dans de larges bacs qu’il a fabriqués et en guise de substrat, il dispose une couche de fumier de cheval en dessous d’une autre composée de tourbe. Le mycelium peut alors commencer timidement à se développer.
Sylvain travaille à l’artisanale, entre la mise en place de ses bacs et la première volée (comprenez récolte) s’écoulent environ 22 jours. Un produit exigeant, fragile, il lui faut beaucoup d’humidité mais pas d’eau, d’où la présence des bâches installées un peu partout pour préserver les cultures des ruissellements. À 13°C le champignon est à son aise, mais il est sensible aux moindres variations de températures. Artisanal toujours, Sylvain ajuste donc la température en régulant le brassage de l’air avec ses portes et joue avec l’agencement des bâches. Les températures étant trop difficiles à maintenir avec les chaleurs de juillet et aout, il suspend la culture sur cette unique période.
Au final avec beaucoup de travail et la passion du champignon chevillée au corps, Sylvain parvient à récolter entre 2 et 3 tonnes par an. C’est peu, mis en rapport avec ce que produit un industriel, comptez le même tonnage, mais par jour… Bien évidemment, la qualité n’est pas la même, ici le champignon est dans son environnement naturel, pas d’artifice, pas de technique, mais surtout on ne le presse pas, on lui laisse le temps de se développer et d’exhaler naturellement ce goût, cette odeur caractéristique de sous-bois. Un produit respectable, élevé par un homme qui n’en impose pas moins, artisan valeureux, passionné et heureux de pouvoir partager tout cela avec nous.
Ce sont ces histoires là que le chef aime à mettre en musique dans ses assiettes, des histoires d’homme et de produits se racontant à travers celle, légendaire, de La Laiterie. C’est cette direction qu’il avait décidé de prendre lorsqu’il a pour la première fois allumé les brûleurs de la cuisinière de la belle lilloise. Et c’est ce même chemin, nous en sommes certains, qui le conduira très bientôt à tutoyer de nouveau les étoiles.
LA LAITERIE
138 Avenue de L’Hippodrome
59130 – Lambersart
Tél. 03 20 92 79 73 / reservation@lalaiterie.fr