Au gré de nos pérégrinations de saison, on vous fait découvrir une denrée extraordinaire et son origine. Cette semaine, la fleur de courgette bio cultivée en Champagne et valorisée par le chef Meilleur Ouvrier de France Philippe Mille.
Lorsque l’on saute du train qui nous mène en 45 minutes de Paris Gare de l’Est à Reims TGV, on ne s’attend pas forcément à tomber sur des fleurs de courgettes. Et encore moins cultivées en Champagne, à 40 kilomètres de l’hôtel de Reims abritant l’une des tables les plus en vue de la région : le restaurant « Le Parc » du Domaine des Crayères. Rencontre avec Philippe Mille, qui nous explique tout.
Bonjour Philippe, dîtes-nous ce que ces fleurs de courgette ont de si particulier ?
Ces courgettes proviennent de chez Stanislas Caudron, de la ferme des Bonnevals, à Craonne, à 35 minutes d’ici, un producteur avec qui on travaille et qui nous fait une bonne partie de nos légumes tout au long de l’année. L’été, on arrive sur les courgettes. J’avais besoin de me fournir en belles courgettes, goûteuses, qui puissent rendre un joli visuel dans l’assiette. Donc on est partis sur des mini-courgettes avec la fleur naissante au bout. On se régale de courgettes vertes, de zéphyrs, et de jaunes. On crée des assiettes autour de ce produit magnifique qu’on associe avec les amandes fraîches puisqu’on est en pleine saison aussi. En ce moment on travaille beaucoup sur le veau, ou également sur une belle lotte rôtie gentiment.
On va vraiment pousser la technique sur ce légume : une partie des courgettes va être séchée, réduite en poudre pour assaisonner le poisson, puis assaisonnée avec une huile d’amende.
La courgette, vous la déshydratez, c’est ça ?
Oui, une partie est déshydratée, réduite en poudre et saupoudrée sur le plat. Cela concentre les saveurs et donne vraiment un goût de courgette, avec une légère amertume qui s’associe bien avec l’iode de la lotte. La lotte a une texture ferme et les courgettes ajoutent un côté moelleux et floral. J’aime bien marier aussi ces éléments avec une fleur de sureau. On a la chance d’en avoir beaucoup dans le parc et donc de pouvoir en cueillir un maximum durant les 3 semaines de saison. On décline la fleur de sureau sous forme d’huile, de vinaigre maison et on la conserve toute l’année.
C’est quand même très étonnant de trouver des fleurs de courgettes en Champagne non ?
Mais non, c’est une fleur, et heureusement qu’il y a des fleurs en Champagne ! C’est comme les tomates, on associe énormément la courgette au soleil, et on n’imagine pas qu’il y ait du soleil en Champagne !!! Ce sont peut-être des produits du Sud, mais ici, on les obtient en léger décalé. Il en va de même pour les asperges vertes. En Provence, elles commencent mi-mars, ici on va les trouver à partir du mois de mai, presque deux mois de décalage ! Par contre, on va finir les courgettes au mois d’octobre alors qu’en Provence, fin septembre on n’en trouvera plus ! Il y a des gens qui nous demandent « mais pourquoi vous n’avez pas encore commencé la tomate ? ». Parce qu’elle ne vient pas de chez nous ! Comme on a besoin de beaucoup de fraîcheur, cette intensité du fruit de la tomate, ce côté très particulier de la rafle, ce parfum puissant… Je veux obtenir ce goût-là, et on réussit à l’avoir en local tous les jours, mais en décalé.
Ce maraîcher voisin, comment l’as-tu rencontré ?
Sur le marché de Reims. Il venait d’avoir une place au Boulingrin. Il avait des beaux légumes, c’était le petit couple de jeunes qui venait de reprendre la production des beaux -parents, qui voulaient faire quelque chose de différent, qui étaient très ouverts, qui avaient envie d’avoir des produits atypiques. On est partis sur des mini légumes. Lorsqu’on évoque l’idée, il me lance : « je n’en ai jamais fait, je veux être à la hauteur de la maison, de vous… ». Vraiment, il était très inquiet. Je lui ai répondu qu’on allait essayer avec un produit la première année. On a fait des mini carottes, de très belles variétés, de la purple, de la jaune, de l’orange, on a obtenu une superbe palette. Puis il s’est pris au jeu. La deuxième année, on a refait d’autres produits. C’est même lui qui est venu me proposer plein de choses avec un catalogue ! Il ne se fournit qu’en graines d’origine, pas d’OGM. En plus d’être bio, il veut des graines qu’on ne retrouve pas partout. Avoir vraiment des produits atypiques. De fil en aiguille, on s’est retrouvé avec un beau panel.
Dans la tête des gens, quand on dit « petit » ou « mini-légume » cela signifie qu’il y a moins de goût. Mais non, au contraire ! C’est beaucoup plus concentré !
Lui n’arrose pratiquement pas, la nature fait le travail d’arrosage… par contre, il va aller à quatre pattes par terre désherber tout ce qui traîne, il veut vraiment que la racine aille au plus profond chercher les matières organiques. Chez lui, il y a beaucoup de sable. Les racines vont donc très bas parce qu’il faut aller chercher ces matières.
En termes de goût, de texture, il y a une différence avec d’autres provenances ?
Automatiquement ! On a des terroirs qui sont complètement différents, ici on a beaucoup de terroirs autour de l’argile, de la craie, du sable, comme pour la culture de la vigne…
Du coup, ça apporte automatiquement un goût différent. Par exemple, sur un terrain de craie, comme celui sur lequel poussent nos courgettes, on va avoir un côté très salin, ça va être subtil mais on va le retrouver. Notre courgette va appeler à boire quelque chose ! On est sur un légume plus pur peut-être, plus asséchant. Heureusement, on a plus de 600 références de Champagne à la carte qui vont s’accorder à merveille avec tout ça. La salinité, ici, on arrive facilement à la contrer !