La Champagne :
effervescence de savoirs

Carnet de croûte Champagne
Carnet de croûte sur les routes de la Champagne - © 180°C - Photo Éric Fénot

La Marne et l’Aube peuvent s’enorgueillir d’afficher une identité culinaire d’une rare diversité. On la doit aux savoir-faire d’hommes et de femmes – vignerons, éleveurs, artisans, chefs de cuisine – désireux d’enrichir un patrimoine culinaire déjà très copieux. 

Le champagne mis à part, il existe entre Marne et Aube, une multitude de trésors, solides et liquides, connus et reconnus qui traversent le temps. Dans l’Aube, la célèbre andouillette de Troyes, le chaource – fromage d’appellation d’origine contrôlée – le cidre du Pays d’Othe, la truffe de Bourgogne, le rosé des Riceys ou la prunelle de Troyes. Dans la Marne, le lentillon, les biscuits Fossier de Reims, les vinaigres et les moutardes Clovis, les coteaux champenois, le vin rouge de Bouzy ou le ratafia.
À cette sélection de produits emblématiques et historiques viennent s’ajouter des productions plus récentes ou plus discrètes comme le chou, le safran, le miel, les bières artisanales, les fruits et légumes, le cendré de Champagne – fromage au lait de vache – et même le brie de Melun dont la zone d’appellation comprend quelques communes de l’Aube. De quoi satisfaire les amateurs de cuisine et combler les nombreux chefs qui portent haut la gastronomie régionale si souvent récompensée par le guide Michelin – 7 restaurants ont une, deux ou trois étoiles qui scintillent au-dessus de leurs tables – et ont à cœur de valoriser les initiatives locales.

De la terre à l’assiette
Depuis 12 ans, Philippe Mille, le chef Meilleur ouvrier de France et doublement étoilé au Domaine Les Crayères, organise son Marché des Producteurs. Pendant deux jours, il offre à celles et ceux qui fournissent ses deux restaurants, l’occasion de rencontrer le grand public. Parmi eux, il en est qui n’est pas peu fier d’avoir été sélectionné, Christophe Nominé. Producteur de pâtes « Les Nominettes » fabriquées à partir de céréales produites sur sa ferme de Condé-sur-Marne. Christophe a toujours été un double actif, la semaine dans le secteur des éoliennes et le week-end sur ses engins agricoles pour assurer sur 75 hectares, la production de céréales, de betteraves ou de luzerne garanties sans insecticides et sans engrais chimiques.

La champagne
Christophe Nominé produit des pâtes réalisées à partir de ses propres céréales, cultivées sans intrants chimiques – © 180°C – Photos Éric Fénot

En 2015, il a, avec son épouse, cette envie de valoriser sur place, le fruit de son travail. Une visite dans une exploitation de Vendée va le conforter dans cette idée.

Ce sera des pâtes. Après quelques travaux, il se lance en 2017. Aujourd’hui, ce sont 20 tonnes de pâtes à base de farine de blé sur les 250 tonnes de blé produites, qui sont fabriquées, séchées et commercialisées sur une base de douze modèles, des penne aux spaghetti en passant par les tagliatelles produites majoritairement à base de blé mais aussi un mélange de sarrasin et de blé, d’épeautre bio ou de blés anciens vendues pour partie en restauration, privée et collective, sur les marchés, dans des magasins de producteurs et même dans un distributeur automatique installé sur la commune de Condé-sur-Marne.

Plus au sud, sur la commune de Verricourt dans l’Aube, un couple, Benoît et Amélie Lermite, s’est aussi demandé comment apporter une plus-value sur une exploitation familiale en conventionnel, autrefois essentiellement axée sur les céréales. Ils ont, dans un premier temps, assuré un peu de maraichage avant de se lancer dans l’élevage d’agneau puis de changer leur fusil d’épaule pour se consacrer uniquement à l’élevage de cochon bio et de poulets.

La champagne
Benoît et Amélie Lermite, éleveurs de cochons et poulets bios – © 180°C – Photos Éric Fénot

Sur la ferme, ils ont aménagé une partie des bâtiments en laboratoire de fabrication et embauché 2 bouchers pour assurer la totalité de la transformation.

À quelques centaines de mètres, en pleine campagne, les cochons vivent dans un bâtiment entièrement ouvert sur les prairies.

Benoît et Amélie ne sont pas naisseurs. Ils reçoivent les porcelets à 20 kilos. Pendant 10 semaines, ils vont être élevés sur paille, nourris avec l’aliment réalisé par Benoît avec les céréales produites sur l’exploitation avant de pouvoir accéder aux champs.

La Champagne
Sur leur exploitation, des cochons et des poulets « bien élevés » dont ils transforment eux-même la viande en différentes spécialités, boudin noir, tourtes, terrine au piment d’Espelette… – © 180°C – Photos Éric Fénot

Lorsqu’ils atteignent 150 kilos, ils sont envoyés à l’abattoir de Troyes avant de revenir sur l’exploitation pour la transformation en tourte – avec une pâte faite maison – d’effiloché de porc aux cèpes, en empanadas de cochon et bœuf marinés, en boulettes de porc à la tomate, en terrine au piment d’Espelette, en boudin noir, en fromage de tête vendus dans leur boutique de Sainte-Savine, dans le marché des Halles de Troyes et sur les marchés parisiens le week-end. À cette production – seulement 300 cochons par an – s’ajoute celle de poulets de variété cou nu, élevés aussi en bio avec accès à un parcours herbeux et abattus au minimum à 100 jours.

De la vigne au verre
Pas d’insecticides et d’engrais chimiques chez Christophe Nominé, un élevage de cochons et de poulets en bio chez Benoît et Amélie, l’agriculture biologique a le vent en poupe en Champagne. Et dans les vignes, c’est le même entrain. En 2020 et 2021, 143 domaine ont entamé le processus de conversion ce qui porte le nombre de domaines engagés en bio à 598 soit environ 2 751 hectares. Certains se sont d’ailleurs regroupés au sein de l’ACB, association des champagnes biologiques. Parmi eux, les champagne Fleury à Courteron dans l’Aube et André Heucq à Cuisles dans la Marne.

Chez les Fleury, on va au-delà de la bio puisque le domaine est certifié en biodynamie depuis 1989.

Aujourd’hui, les frères, Jean-Sébastien et Benoît poursuivent l’œuvre de leur père, Jean-Pierre.

La champagne
Jean-Sébastien Fleury entre les rangs de ses vignes qui s’étirent sur une quinzaine d’hectares, à Courteron dans l’Aube – © 180°C – Photos Éric Fénot

Le premier s’occupe essentiellement des vinifications quand le second gère les vignes majoritairement plantées en pinot noir (85 %) et en chardonnay auxquels s’ajoutent des cépages très minoritaires sur l’appellation champagne, le pinot blanc, le pinot gris et l’arbane. Seul le petit meslier n’est pas représenté sur la quinzaine d’hectares des Fleury dont 7 sur la commune de Courteron. Il en résulte des cuvées classiques comme « Blanc de noirs » (100 % pinot noir), « Cépages blancs » (100 % chardonnay) mais aussi des cuvées rares que tout amateur de champagne devrait goûter une fois comme « Notes blanches » (100 % pinot blanc), « Variation » (100 % pinot gris) ou la petite dernière « 4 cépages », du pinot noir, du chardonnay, du pinot blanc et du pinot gris assemblés et pressés ensemble.

À Cuisles, dans la Vallée de la Marne, André Heucq s’est aussi engagé en biodynamie après une certification de ses vignes en bio en 2018 sur un terroir dominé par le meunier sur lequel il possède 6 hectares.

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Très impliqué sur le plan écologique, il a consacré 1 000 m2 des toits de ses bâtiments au photovoltaïque, récupère les eaux de pluie et les eaux de lavage, capte les eaux de source et assure une ventilation naturelle de ses bâtiments par un puits canadien.

À la vigne, enherbement, labour au cheval et utilisation de tisanes pour réactiver la vie microbienne du sol.

Au chai, des vinifications séparées dans des fûts bourguignons pour obtenir un boisé léger qui sublime le meunier, dans des œufs en béton pour apporter davantage de fraîcheur, de fruit et de rondeur aux champagnes ou plus classiquement en cuves inox.

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André Heucq, vigneron champenois très engagé. À droite, un flacon de sa « cuvée œuf » réalisée en 100% Meunier. – © 180°C – Photos Éric Fénot

Et parce qu’André Heucq ne compte pas s’arrêter à ce stade des innovations, il s’est engagé depuis quelques années dans l’immersion de bouteilles au large d’Ouessant. Pendant une année, 700 bouteilles de meunier patientent à 60 mètres de profondeur à une température naturelle de 12°C. Une cuvée baptisée H-60 à réserver. En attendant, il reste de nombreuses cuvées pour se faire plaisir sans oublier le ratafia 100 % meunier ou les coteaux champenois rouge issus de vieilles vignes ou en vendanges tardives.

Dans les assiettes et dans les verres
Si le public est le premier ambassadeur de ces éleveurs, vignerons, artisans, les chefs de cuisine participent aussi à valoriser les savoir-faire et le travail. C’est le cas chez Claire & Hugo à Sainte-Savine dans l’Aube qui ont ouvert, il y a 3 ans, une étonnante boulangerie – restaurant.

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Claire & Hugo, à la fois boulangerie et restaurant, à Sainte-Savine dans l’Aube – © 180°C – Photo Éric Fénot

Hugo, boulanger puis compagnon pâtissier pendant 6 ans et Claire, ancienne tailleuse de pierres en restauration de monuments historiques avant une reconversion dans la cuisine, sont connus dans la région pour l’avoir sillonnée dans un bus anglais à étages. Ils y servaient des burgers « gastronomiques » à partir de pain fait maison.

Lorsque l’aventure du bus prend fin, ils s’installent à Sainte-Savine avec cette envie de partager leurs deux passions, le pain et la cuisine.

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Hugo et Claire ont su imaginer un concept alliant leurs deux passions communes, la cuisine et la boulangerie – © 180°C – Photos Éric Fénot

Ils aménagent dans l’arrière-cour, deux laboratoires, un premier pour la boulangerie, un second pour la pâtisserie. Tout est produit en bio et sur levain naturel avec notamment les farines Les Culs-Terreux à Val d’Auzon dans l’Aube et vendu jusque midi. Quelques minutes plus tard, la boulangerie se transforme en restaurant. Une carte courte, deux entrées, deux plats et deux desserts – dont certains réalisés avec les agrumes qui poussent derrière le restaurant -, réalisés à partir de matières premières, de préférence locales, mais surtout, élaborées par des hommes et des femmes respectueux de l’environnement, du bien-être animal et adeptes du vertueux.

Plus au nord, à Reims, si le chef doublement étoilé au guide Michelin, Kazuyuki Tanaka, du restaurant Racine, valorise aussi quelques productions locales de qualité, il est avant tout un ambassadeur du vignoble de Champagne avec pas moins de 260 cuvées proposées à la carte dont une écrasante majorité de champagnes de vignerons.

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Kazuyuki Tanaka, surnommé Kazu, chef du restaurant Racine, au-dessus duquel scintillent fièrement deux étoiles accordées par le célèbre guide rouge – © 180°C – Photos Éric Fénot

Une palette conséquente qui permet d’accorder les champagnes en fonction de leurs terroirs, de leurs cépages, avec ses plats qu’il change toutes les 4 semaines et qu’il réserve à seulement 15 à 18 convives par service.

Déjeuner ou dîner chez Racine, c’est une expérience qui met en scène des assiettes qui pour Kazu – son surnom – doivent impérativement se transformer en souvenir.

La champagne
Le chef et à ses côtés, sa femme et complice, Marine, qui se charge notamment du service en salle. Deux ambassadeurs passionnés au service du terroir gastronomique champenois – © 180°C – Photos Éric Fénot

Son envie, que vous puissiez énoncer et raconter un menu, six mois après l’avoir apprécié. Formé par les plus grands chefs partout en France, Kazu met la technicité japonaise et la notion d’équilibre des saveurs au service de la diversité des terroirs dont ceux de la Champagne.

Texte de Philippe Toinard & Photos d’Éric Fénot – Un article réalisé en partenariat avec l’Agence Régionale du Tourisme du Grand Est

CARNET DE CROÛTE

Champagne Fleury
43, Grande rue. 10250 Courteron
Tél. : 03 25 38 20 28. www.champagne-fleury.fr 

Champagne Heucq
9, rue Eugène Moussé. 51700 Cuisles
Tél. : 03 26 58 10 08. www.champagne-heucq.com

Restaurant Boulangerie Claire & Hugo
77, avenue du Général Galliéni. 10300 Sainte-Savine
Tél. : 09 73 14 18 69. www.claireethugo.fr

La Ferme de Benoît et Amélie
37, avenue du Général Gallieni. 10300 Sainte-Savine
Tél. : 07 81 14 24 86.

Les Nominettes
8 bis, rue Kellerman. 51150 Condé-sur-Marne
Tél. : 06 77 84 82 43. www.les-nominettes.fr

Restaurant Racine
6, place Godinot. 51100 Reims
Tél. : 03 26 35 16 95. www.racine.re

 

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