Quand je repense aux kermesses de mon enfance dans les années 1980, je songe moi aussi à fonder un nouveau mouvement politique. Mon combat : militer pour le retour du camion à merguez dans les cours d’écoles au mois de juin, parce que les sandwichs aux saucisses d’agneau épicées, c’était autrement plus excitant que les cupcakes et les gâteaux au yaourt.
Al-Merguelous
Il est difficile de connaître l’origine exacte de la merguez. Moussa Lebkiri raconte dans l’émission Karambolage que « tout le monde se l’approprie », Tunisiens, Algériens, juifs d’Oranie et… Alsaciens. Dans Cuisine et diététique dans l’Occident arabe médiéval (éd. L’Harmattan), Catherine Guillaumond explore un traité anonyme du XIIIe siècle sur la cuisine de l’Occident musulman (Maghreb et Al-Andalous). Parmi les nombreuses recettes proposées et traduites figurent des mirkâs ou mirqâs, ancêtres des merguez. On imagine que la traditionnelle saucisse de porc européenne fut alors repensée pour honorer la cohabitation entre musulmans, juifs et chrétiens dans la péninsule ibérique. La recette met en scène de l’agneau pilé puis malaxé avec des matières grasses, du murrî (fermentation de céréales) et des épices (pas de harissa, les conquistadores n’ayant pas encore découvert les joies du piment). La farce est mise en boyau et les saucisses, frites, servies avec une sauce à l’huile et au vinaigre, ou bien à l’oignon, à la coriandre et à la menthe.
Merguez, j’écris ton nom
Mais cet interlude médiéval ne dit rien du succès de la merguez au XXe siècle après une ellipse de quelques siècles. Dans un article de recherche sur l’imaginaire de la merguez à Marseille*, Angela Giovanangeli indique que son triomphe en France serait lié à l’arrivée des Pieds-Noirs, soignant la béance de leur exil à coup de mounas et de merguez. Elle remarque pourtant que les rapatriés découvrirent cette chipo d’agneau aux accents familiers sur la rive Nord de la Méditerranée, et non en Algérie, comme le raconte René Domergue dans L’intégration des Pieds-Noirs dans les villages du Midi**, citant l’un d’entre eux :
Les merguez, c’est comme le mot Pied-Noir, on connaissait pas avant d’arriver ici.
Modèle de « soul food », la merguez ? La petite saucisse rouge est assurément un doudou qui apaise le mal du pays, mais aussi un pied de nez à la cuisine de l’abstinence, voire une insolente illusion de liberté : le 29 mai 2017, à Rouen, trois hommes ont été placés en garde à vue car « ils jetaient des merguez par-dessus les murs de la prison » à leurs amis coincés dans l’enceinte pénitentiaire.
La Grande Question du Couscous
Autre problématique contemporaine et autrement plus épineuse : la place de la merguez dans le couscous. Quand une internaute demande en 2007, sur le forum de Bladi.net (une communauté virtuelle marocaine), « Pour ou contre le couscous merguez ? », elle obtient treize pages de réactions. L’écrasante majorité des réponses est sans appel, de la saine indignation (« c’est une atteinte à la dignité du couscous ! ») à la prédiction désabusée (« bientôt ça sera couscous saucisse frites »), en passant par l’emphase outragée (« La question ne se pose même pas. C’est un attentat à la gastronomie et au bon goût culinaire »). Un internaute conclut avec la seule objection possible quand il s’agit de couscous : « Je ne mange que le couscous de ma mère. Tout le reste c’est du pipo. » Le couscous royal, qui réunit viandes, boulettes et merguez, serait de fait une invention parisienne, mais je ne suis pas allée vérifier cette information, car, de toute façon, je ne mange moi-même que le couscous de ma mère (sans merguez, ça ne va pas la tête ?).
Merguez maison, à glisser dans des sandwichs
Ingrédients pour 2 kg de merguez :
. 2 kg de viande d’agneau (ou 1 kg de viande de mouton + 1 kg de viande de bœuf)
. 4 gousses d’ail
. Au moins 4 cuillères à soupe d’harissa
. 20 g de sel
. 2 cuillères à soupe de fenouil en poudre
. 1 cuillère à soupe de poivre noir moulu
. Épices et aromates facultatifs (cumin moulu, coriandre moulue, piment doux fumé ou pas, menthe séchée)
. Environ 4 mètres de boyaux de mouton (on peut aussi zapper les boyaux et faire des merguez en boulettes).[/column]
1/ Mettre les boyaux à tremper dans de l’eau vinaigrée pendant à peu près 1 heure.
2/ Hacher les viandes au hachoir. Les assaisonner avec l’ail râpé et les autres ingrédients (sauf les boyaux, on fait des merguez, pas des andouillettes). Malaxer et réserver au frais.
3/ Rincer les boyaux sous un filet d’eau, à l’extérieur et à l’intérieur. Les remplir avec la chair à l’aide du tube, en piquant les éventuelles poches d’air. Si on veut faire des merguez individuelles, ne pas trop remplir le boyau et tourner la saucisse géante sur elle-même à intervalles réguliers.
4/ Attendre au moins une nuit pour cuire les merguez à la braise.