Pour son projet Orphée Vigneron l’artiste transmédia Donatien Garnier a décidé de suivre l’élaboration d’une cuvée pendant deux ans. Depuis octobre dernier il se rend toutes les lunes au Mas Foulaquier (Pic saint-Loup), chez Blandine et Pierre Jéquier. Accueilli par La Gazette de 180° son blog biomimétique – voire biodynamique – oscille entre récit documentaire et création littéraire.
1. Orphée vigneron, est le troisième cycle d’O°, projet de création autour de la figure d’Orphée, fils de la muse Calliope et d’Œagre1, roi de Thèbes. 2. Il correspond à l’adjonction d’un nouveau mythème à l’histoire d’Orphée, dans lequel le Poète étendant sa conversation cosmique au végétal, ouvrirait son vaste savoir à l’alchimie du vin et se ferait le pourvoyeur du cortège bachique2. 3. Dans ce mythème « dionysiaque » en cours d’élaboration le dieu de l’ivresse récompenserait doublement Orphée pour ses vins : en rendant permanent son haut degré d’inspiration et en lui offrant la part de folie 3 lui faisant encore défaut pour atteindre au génie. 4. Orphée, ici, achèverait son deuil puis s’ouvrirait aux plaisirs terrestres. 5. Pour travailler cette création, je souhaitais me rapprocher d’un vignoble afin de suivre au plus près (dans la vigne puis au chai) l’élaboration complète d’une cuvée. 6. Bordelais, j’ai longtemps cherché un domaine à proximité de chez moi, dans les Graves, le Médoc, L’Entre-deux-mers… mais mollement, sans appétit pour les suggestions qu’on m’adressait. 7. C’est au hasard d’une discussion avec mes amis Blandine et Pierre Jéquier, vignerons du Pic Saint-Loup, que j’ai compris ma tiédeur : c’était chez eux, au Mas Foulaquier, qu’au fond de moi, j’avais toujours situé ce projet. 8. Pour notre vieille amitié4, pour leur vin remarquable, pour la qualité des relations qu’ils cultivent avec ceux qui les entourent ; pour le site merveilleux, en lisière de garrigue, au pied d’une colline boisée, qu’ils occupent ; pour leur travail en biodynamie ; pour le plaisir de voyager jusqu’à eux ; et, élément déclencheur, pour le nom de leur principale cuvée : L’Orphée. 9. Ma première intention était de suivre le travail mois après mois pendant deux ans. 10. Puis, selon l’approche « convergente[1]» que j’ai adoptée dans la plupart de mes livres, j’ai décidé de suivre la biodynamique pratiquée au Mas Foulaquier et de caler mes visites sur le calendrier lunaire : de venir une fois par lune plutôt qu’une fois par mois6 11. C’est aussi dans cette optique que j’ai décidé d’écrire un billet de blog par visite7, lequel serait découpé en vingt-quatre phrases, ou phases, correspondant à la fois au vingt-quatre heures du jour et de la nuit et à la fois au vingt-quatre visites (de durée variable) envisagées au Mas Foulaquier. 12. Selon ce principe, les phrases correspondant aux heures nocturnes seront typographiées en gras, rendant ainsi visible l’évolution du cycle solaire dans l’année. 13. J’ai conscience que ce qui précède se rapporte d’avantage à une écriture que j’ai pu qualifier de biomimétique dans des travaux précédents8 ou en cours9 mais il est encore trop tôt pour se risquer à décrire plus précisément - si l’hypothèse a un sens - ce que pourrait être une écriture régie par des principes tirés de la biodynamie ou, plus généralement, de la pensée de Rudolf Steiner. 14. Cette question est l’un des chantiers ouverts par Orphée vigneron, l’une des pistes à explorer dans ce blog «orphéobachique ». 15. Plus que comme un pampre ou un sarment chaque phrase pourrait être considérée comme un pied de vigne et chaque billet comme une parcelle. 16. Morphologie de la phrase : un cep enraciné contenant l’information principale, un pampre plus ou moins vivace contenant les informations secondaires, un feuillage constitué par des notes, des fruits (poèmes entre parenthèses ?) dont la forme reste à réfléchir – et dont tout élément peut être sujet à dépérissement, taille, traitement biodynamique, régénérescence, récolte ! 17. Expérimenter une écriture biodynamique implique pour moi de développer une attention aux rythmes de l’écriture, aux temps propices à la documentation, à la réflexion, à l’inactivité et à la rédaction. 18. Ainsi ai-je déjà pu observer que la période racine mais surtout fleur avait rendu insistant et efficace la production de ce premier post dont je ne cessais pourtant, depuis ma visite inaugurale au Mas Foulaquier en octobre dernier, de reporter l’écriture. 19. Et c’est en conséquence que j’ai choisi de placer l’écriture de chaque billet dans un cycle proche de celui de la vigne : récolte d’informations et de sensations sur le terrain, maturation, puis soutirage du texte au moment le plus propice - l’absence d’urgence à publier permettant de faire évoluer le texte jusqu’à son conditionnement définitif : sa publication. 20. Journal de bord, journal d’heures, journal de cave, journal de vigne, les billets bachiques d’Orphée vigneron égraineront les temps, les actions et les patiences, les décisions et les surprises ; ils s’enracineront dans le sol, l’histoire du domaine et de ceux qui le font, s’enfermeront dans les cuves et les bibliothèques, respireront large ou végèteront. 21. Toutes intentions qui, vivantes, n’auront naturellement de cesse de se transformer et d’évoluer dans des directions imprévues. 22. Ce blog, par ses contraintes et son contenu est une manière d’hybride entre le poème et le récit documentaire, tantôt proche de l’un et tantôt proche de l’autre, précurseur des deux. 23. Il constitue aussi un espace de dialogue avec Blandine et Pierre, une matière au travail qui se donnera à goûter à ses différentes étapes. 24. Le billet qui s’achève ici a été écrit entre le vendredi 15 et samedi 16 novembre 2019, entre 15 heures et 12 heures en période racine (jusqu’à 17 heures) puis fleur ; repris maintes fois depuis.
Notes et suite :