Discret, presque mystérieux, il ne porte pas de barbe, n’arbore aucun tatouage et semble évoluer à rebours de l’ultra-médiatisation dont les chefs font d’ordinaire l’objet. Seul signe distinctif peut-être, cette majestueuse crinière blanche lui offrant quelque ressemblance avec un légendaire compositeur et chef d’orchestre allemand. Mais sa petite musique à lui, Xavier Mathieu la compose en cuisine, à la faveur de notes provençales savamment dosées, parfaitement maîtrisées. Au Phébus, la table étoilée luberonnaise qu’il tient depuis une trentaine d’années, ce chef passionné et passionnant nous a livré sa dernière symphonie gastronomique : « Autour de la ruche »… Musique !
C’est la fin de l’été, un vent chaud et puissant balaye la pinède servant d’écrin au majestueux établissement tout à la fois hôtel, restaurant et spa, auquel Xavier Mathieu a donné vie il y a 30 ans. Tout autour, la campagne et dans un périmètre d’une dizaine de kilomètres, le garde-manger du Phébus, composé de vignes, d’oliviers, de terres maraîchères et d’une multitude de petits marchés concentrant les trésors de cette région paysanne. Le chef ne cherche pas à s’inscrire dans une tendance en vantant la teinte locale et saisonnière de son menu. Ce n’est que du bons sens. Tout est là, il n’y a qu’à tendre la main.
Il a fait seul son travail de sourcing, rencontré les producteurs du coin, testé les produits et choisi de composer sa carte selon le bon-vouloir de la nature. Sur la route sinueuse menant chez Jean-Luc Reymond – son fournisseur en miel, devenu au fil des ans un véritable ami et complice – Xavier Mathieu fait du lèche-vitrines : ici, ce sont les dernières tomates, là du fenouil et bientôt à cet endroit les premières courges, là encore il faudra qu’il repasse pour voir s’il y a du basilic… Chaque coin de terre semble faire partie de son répertoire et le chef songe à la manière de les inscrire au fil de cette partition d’automne à laquelle il réfléchit déjà.
Pour l’heure, c’est de miel dont il a besoin. En effet, le restaurant gastronomique proposait cet été un menu intitulé « Autour de la ruche », comprenez une symphonie de plats imaginés autour des abeilles et de leurs produits bruts, le miel bien sûr, la cire et parfois transformés, comme l’hydromel…
Au menu donc, Soupe au pistou, Ratatouille, Pieds paquets, pour ne citer qu’eux, des incontournables de la région auxquels le chef a souhaité faire honneur en leur conservant une apparente simplicité. Apparente, car bien évidemment derrière chacune de ces assiettes il y a un énorme travail, des années d’expérience de connaissances accumulées pour parvenir à trouver sa cuisine, son identité, être capable d’insuffler avec précision l’émotion que l’on souhaite faire partager avec un plat.
Quand on commence dans la cuisine, on ne fait pas vraiment la sienne, on est dans la démonstration, on copie nos maîtres. Puis un jour on se demande : qui je suis, qu’est-ce que je veux transmettre ?
Cuisiner, pour moi, c’est savoir se dépouiller. À chaque plat, on ne fait qu’enlever, encore et encore. On ne cherche pas la démonstration, on cherche à partager de l’émotion avec simplicité, celle qu’on l’a ressentie nous. Et si elle est sincère cette émotion, elle se partage naturellement. »
Des plats simples, une cuisine juste et précise livrée avec cette foule de petits détails qui confinent à l’exceptionnel. À l’instar de cette eau de tomate qui vient peaufiner la soupe au pistou. Ou du jus d’oignon brûlé qui escorte avec élégance la « ratatouille d’hier adoucie au miel de rhododendron ».Au dessert, ce sont les délicates effluves de l’hydromel dont le chef lui-même arrose ce soufflé, aérien, proposé avec une crème glacée au miel de lavande.
Le nom du menu, Autour de la ruche, c’est aussi un joli clin d’œil adressé à la boutique de son fournisseur et ami Jean-Luc Reymond. C’est à partir de ses produits, un miel de rhododendron ou de lavande, la cire brute prélevée dans le cadre d’une ruche ou encore l’ hydromel que le chef a imaginé cette balade organoleptique sur le dos des abeilles. Et passionné Jean-Luc Reymond l’est aussi.
Courtier en assurance dans une première vie professionnelle, Jean-Luc trouve que celle-ci manque de sens et de saveur. Dans sa famille, avec un oncle maître-saucier et des parents bouchers de formation ayant tenu plusieurs restaurants, on a la passion des métiers de bouche chevillée au corps. Chez ses grands-parents, c’est autour des ruches, dans le jardin, qu’enfant, il s’épanouit et se pique de curiosité pour ces infatigables travailleuses ailées.
Alors au moment de se demander quel chemin il doit donner pour cette nouvelle vie, Jean-Luc a les oreilles qui bourdonnent et l’opportunité d’un grand salon de l’apiculture de passage à Montpellier ne fera que le conforter dans son choix.
Dans sa boutique sise dans le village de Coustellet en Lubéron, à quelques encablures du Phébus, Jean-Luc travaille avec une dizaine de petits producteurs. Sur ses étagères, une farandole de miels, sapin, garrigue, chataîgne, sarrasin, bruyère… des produits bruts, authentiques qui ne souffrent d’aucun procédé de filtration, chauffage et tous récoltés de manière traditionnelle. Mais aussi des pollens, de la gelée royales et diverses gourmandises créées à partir de ces mêmes produits.
Parmi les pots en verre renfermant ces précieux nectars, le chef laisse vagabonder son regard, puis pose celui-ci sur un miel de garrigue qui l’inspire quant à la manière d’apporter un peu de sucrosité sur une recette de courge glacée qu’il a en tête…
Une nouvelle symphonie culinaire en préparation ? Sans doute, et pour en profiter il ne vous reste plus beaucoup de temps ou alors il vous faudra vous armer de patience, Le Phébus fermant ses portes de fin octobre à début mars.
En ce qui nous concerne, c’est sans doute au printemps, mais pour sûr avec plaisir que nous reviendrons nous délecter des nouvelles inspirations aux accents méridionaux du chef.