Quand le cinéma et les vins font l’amour ça donne 1h30 d’énergie, de guitares et de fermentations naturelles. Wine Calling est le film que nous attendions tous sur un phénomène qui dépasse aujourd’hui le simple levé de coude national, relevant d’un mouvement plus profond inscrit dans la société. Celui de la rupture avec la ville, celui du retour à la vigne. Une ambition que n’aurait pas reniée Jajacques Rousseau et que raconte Bruno Sauvard, le réalisateur.
Enfant de la banlieue, venu du Val d’Argenteuil, c’est au service cinéma des armées qu’un adjudant lui met une caméra pour la première fois dans les mains. Gloire à la patrie, Bruno, « déniaisé » épouse son destin : « il faut absolument que tu fasses des images » m’a t-il dit, « c’est comme ça que je me suis imposé dans le monde de la publicité. En voulant distiller un peu d’émotion, de contenu ». 20 ans de pubs l’Oréal plus tard, l’artiste décide de quitter Paris et s’installe dans un village du pays Narbonnais : « Les stratégies com’, le marketing sont devenus polluant pour moi. Il était temps de switcher. ». Aujourd’hui il dit financer son film grâce à l’argent des réclames, vouloir utiliser son expérience de tournage, de voyage, ses compétences pour raconter des histoires :
Je veux faire des films 100% libres
On comprend alors mieux le titre du film : l’appel du vin.
Symboliquement, il a suivi la même trajectoire que ses personnages. Il ne vient pas du sérail, se dit « hors-sol », et pense qu’il existe beaucoup de similitudes entre le parcours de ces protagonistes et le sien. Appelés néo-vignerons, « ce ne sont pas des fils de vignerons, mais des citoyens qui quittent des métiers auxquels on ne comprend rien pour s’installer dans les Pyrénées Orientales, où le foncier n’est pas cher, et refaire leur vie », analyse Jérémie Couston, co-auteur du Glou Guide et agitateur d’azerty chez Télérama. Car le sujet du film ne concerne pas que l’élixir dont s’abreuvent de manière croissante les becs en pente : « Le vin nature c’est sympa, c’est agréable, c’est quelque chose d’important sur lequel il faut avoir une pédagogie, mais c’est un prétexte. Le sujet numéro un de mon film c’est l’homme et son rapport à l’autre. Je rejoins là-dessus Antonin Iommi-Amunategui* qui parle d’une tête de pont renvoyant à un questionnement plus vaste sur l’agriculture, la reconquête du temps, du territoire et de ce que l’on a envie de faire. Cette reconnexion, cette maitrise de leur vie, comme de leur vin, sans dogme, encartement ou schéma figé, qui fatigue tout le monde. »
En cela, Wine Calling se regarde comme une mise à jour électrique du Mondovino de Jonathan Nossiter, documentaire qui fit prendre conscience au grand public – dès 2003 – des enjeux de l’industrialisation du vin, et de l’uniformisation du goût : « A ce moment là, j’étais à fond dans cette histoire de Parker. Tout le monde avait le guide à la main. Le film a permis de se réveiller et a mis un coup de pied dans la fourmilière. Tous ces vignerons ont le film en tête ».
Quinze ans plus tard, en pleine polémique sur le glyphosate, Bruno observe que
beaucoup de vignerons conventionnels expliquent qu’on ne peut pas faire de vin sans levures chimiques, que le film est un mensonge.
Je pense qu’ils se sont fait envoûter, c’est de l’ignorance, et en même temps je ne veux pas leur jeter la pierre. Dans les années 70, 80, il y avait la question de comment s’installer en tant que paysan, sur quelle économie ? Mais les consommateurs vont les mettre à l’amende. Ils se battent contre le sens de l’Histoire ».
Jugeons dans les années à venir cette prophétie quelque peu optimiste (pour un adepte des Clash), lorsque l’on sait la fascination qu’exerce chez nos contemporains la Grande Distribution, et le fait qu’à ce jour – malgré l’absence de label ou de cahier des charges rendant difficile le recensement du nombre de vignerons travaillant sans intrants ou pesticides – ne soit estimé qu’entre 1 à 2% la production nationale. Nature ou no futur : that is the question !
* Co-auteur du Glou Guide des vins naturels (Editions Combourakis)
Bonus : On a questionné le réalisateur sur ses penchants en terme de cinéma gastronome, et comment il voyait l’accord film et vin ?
L’aile ou la cuisse (Claude Zidi – 1976) : J’ai une passion atomique pour Coluche et Yves Robert. Le film n’a pas été réalisé par Yves Robert, il n’empêche. J’accorderais un pet nat’, un peu drôle à la Coluche. Je pense au Samplemousse de Rémi Sédès. Le type a fait un vin avec un arôme naturellement agrume, sur le pamplemousse, en opposition au rosé pamplemousse, qui empoisonne les gens l’été.
La grande Bouffe – Marco Ferreri 1973 : Je choisirais un vin de Alain Castex, les vins du Petit Cabanon, que l’on voit dans le film, parce que j’ai l’impression qu’il a un coup d’avance. Il génère une émotion particulière dans la bouche. Hors norme. Ultra émotionnel. Un des seuls nat’ présent dans tous les restaurants triplement étoilés du sud de la France, sauf que la bouteille sort à 40 euros. Il précise « mis en bouteille au kolkhose » sur les étiquettes. Tu vois le personnage.