Yamagata ou la cuisine des montagnes

Dans les montagnes de la préfecture de Yamagata au Japon, il y a peu de terres cultivables et des mètres de neige en hiver. Les gens qui vivent là ont appris à utiliser les maigres ressources de la montagne pour mijoter une cuisine d’exception, même pendant la saison froide.

Dewa Sanzan, “les trois montagnes de Dewa”, est un massif comportant trois monts sacrés, comme son nom l’indique : Haguro-san, Gas-san et Yudono-san. Le climat y est l’un des plus rudes du Japon et la région est isolée, même aujourd’hui. Elle est cependant peuplée, et les gens qui vivent là ont dû apprendre à se débrouiller seuls pour leur subsistance. Ne pouvant pas cultiver grand-chose, et ayant à disposition de vastes forêts, ce sont des spécialistes des cueillettes. Ils en font ce qu’on qualifie, de façon générique, de sansai ryōri, ou “cuisine des légumes des montagnes”.

Fougères, bambous et autres alliacées
Parmi les plantes sauvages qu’ils ramassent, il y a beaucoup de choses que nous ne connaissons pas en France. On peut citer les jeunes frondes de fougère-autruche, ou kogomi, croquantes et fraîches ; le gyojaninniku, une sorte d’ail sauvage qui rappelle l’ail des ours en plus craquant ; les bourgeons de pétasite du Japon, appelés fuki-no-tō, et les pousses de la même plante, fuki, qui rappellent le céleri ; les tiges d’hosta des montagnes, ou urui, craquantes et douces au goût, quelque part entre les asperges et la laitue ; les jeunes pousses d’angélique du Japon, ou tara-no-me, qui sont astringentes et ont une saveur un peu poivrée évoquant le céleri-rave. Il y en a beaucoup d’autres. Des fougères en tous genres, des pousses de bambou, des alliacées… Les montagnes japonaises regorgent de plantes sauvages comestibles.
Enfin, comestibles, il faut le dire vite. Presque tous les sansai sont en réalité très amers, et toxiques à haute dose si on les mange tels quels. On doit réaliser une opération appelée akunuki pour les adoucir et venir à bout des molécules dangereuses. Cela consiste généralement à les faire bouillir une à deux heures, une technique simple mais efficace. Malgré ce traitement, ils restent pour la plupart très riches en potassium, ce qui n’est pas bon pour tout le monde.

L’approche religieuse et l’approche populaire
Tous les habitants de Dewa Sanzan sont des experts en légumes des montagnes. Ils les cuisinent à la maison et de nombreux restaurants de la région en proposent. Mais tous n’ont pas la même approche. S’ils sont liés par un cadre géographique, des espèces végétales, des saisons et des méthodes de préparation ancestrales, il y a plusieurs écoles dans les montagnes sacrées. Enfin, en réalité, il y en a deux principales : celle de la cuisine religieuse, pleine de restrictions, et celle de la cuisine populaire, pleine de bon sens. Côté religieux, on a par exemple les moines bouddhistes du mont Haguro, qui font une cuisine strictement végétale, notamment au restaurant Saikan, spécialiste de la cuisine dévote ou shōjin ryōri. À la belle saison, ce n’est pas bien difficile, mais les choses se compliquent sérieusement en hiver. Les cueilleurs ascètes – appelés yamabushi – chargés de récolter les légumes sauvages ne peuvent le faire que d’avril à novembre. Le reste du temps, la neige recouvre tout, et plus rien ne pousse, à part quelques chrysanthèmes qui subsistent jusqu’à la fin du mois de décembre. La seule solution pour pouvoir manger en hiver, quand on se tient aux végétaux uniquement, c’est donc de conserver autant d’aliments que possible. On les sèche, on les sale, on se rationne, et on fait aussi venir pas mal de choses de la vallée, pas le choix.

Dewaya, un festin de légumes sauvages, mais pas que
Côté populaire, on a la famille Sato, qui tient le fabuleux restaurant Dewaya, au pied de Gas-san, depuis 4 générations. Leur cuisine n’a rien d’ascétique ; au contraire, c’est une cuisine d’abondance, car dans ces régions rudes, on ne sait pas quand aura lieu le prochain repas. Il faut donc que la table soit bien remplie. Dewaya est un restaurant spécialiste des sansai, qui dispose de cueilleurs experts, mais pas que : c’est une très belle cuisine des montagnes, en grande partie traditionnelle mais avec des touches créatives, qui utilise toutes les ressources à disposition, y compris le poisson d’eau douce et le gibier, comme la biche et l’ours. En hiver, quand les légumes viennent à manquer et la température descend en-dessous de 0°C, les produits d’origine animale sont d’autant plus importants et permettent de garder une grande autonomie.

Le même problème se pose en tout cas chez les religieux et les gens du peuple : si l’on veut profiter des sansai toute l’année, il faut bien apprendre à les conserver. Haruki Sato, le jeune chef de Dewaya, entrepose d’immenses récipients de fougères, jeunes pousses aux fibres solides et champignons saturés de sel dans la cour du restaurant, et fait sécher des lichens et autres plantes délicates. Quelques exceptions sont faites parfois, pour que les clients aient le plaisir de déguster des produits frais au cœur de l’hiver : il se procure certains sansai auprès d’agriculteurs qui les cultivent toute l’année. Mais il s’agit plus d’un caprice que d’une nécessité.

Tofu de sésame et nouilles de sarrasin, des plats typiques d’hiver
Si l’on a une approche assez chiche du repas chez les religieux, et que l’on fait de véritables festins chez Dewaya, on a donc des aliments de base et des techniques de conservation similaires. Des plats régionaux traditionnels se retrouvent aussi des deux côtés. Parmi les mets hivernaux typiques, on a le tofu de sésame, ou gomadofu, moelleux à souhait, préparé de façon très différente dans les deux restaurants ; le nabe, une sorte de fondue à la japonaise, où les légumes, la viande ou le poisson sont cuits dans un bouillon au cours du repas, spécialité de Dewaya ; les soba, des nouilles de sarrasin que l’on mange chaudes ou froides, accompagnées d’un bouillon ou d’une sauce. Et bien entendu, toutes sortes d’autres petites choses exquises, de la tempura de tara-no-me au fuki-no-tō fourré au miso – un véritable bijou.

Pour goûter à l’immense variété des sansai, on vous dira sans doute qu’il est plus judicieux de se rendre dans la préfecture de Yamagata en été. Mais pour apprécier l’ingéniosité culinaire des gens de la région, et profiter des restaurants locaux au moment où ils sont les moins fréquentés – dans un cadre enneigé absolument sublime – pas de doute, l’hiver est la meilleure saison.

Yamagata ou la cuisine des montagnes

Restaurant Dewaya (cuisine des montagnes)
58 Mazawa
Nishikawa
Nishimurayama-gun
Préfecture de Yamagata 990-0703

Tel : 0237-74-2323
Web : http://www.dewaya.com/

Restaurant Saikan (cuisine bouddhiste)
Haguroyama-33
Haguromachi Touge
Tsuruoka
Préfecture de Yamagata 997-0211

Tel : 0235-62-2357

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