Derrière les images de carte postale de troupeaux de chevaux blancs, de taureaux ruminant ou d’envols de flamants roses, se cache une Camargue agricole où le riz a toujours occupé une place prépondérante. Seulement, les milliers d’hectares dédiés à cette culture fondent inexorablement au profit du maraichage.
Bertrand Mazel, riziculteur et président du syndicat des riziculteurs de France a la tête des mauvais jours. Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a récemment décidé de supprimer les aides compensatoires communautaires destinées à soutenir la riziculture alors que les producteurs italiens continuent à les percevoir. Comme un taureau Camarguais, Bertrand Mazel rumine, fulmine, « nous sommes passés de 20 000 hectares de rizières en 2012 à 13 000 aujourd’hui et de 230 riziculteurs à 170 dont 5% environ sont en bio. En lieu et place, des serres de tomates, de melons, du colza, des vignes, de la luzerne et des pommes de terre ». Le riz Camarguais est en danger alors qu’il fut le fleuron d’une agriculture régionale pendant des décennies.
L’histoire se répète
Si le riz fait son apparition dans le Sud de la France à la fin du XIIIe siècle, sa culture va être ordonnée par le roi Henri IV en 1593. Bon an, mal an, elle va subsister et traverser les siècles sans faire de vagues. Les surfaces restent modestes en raison d’une irrigation mal maîtrisée. C’est seulement au lendemain de la seconde Guerre Mondiale grâce au plan Marshall que la riziculture Camarguaise va entrer dans l’ère de l’intensif. La France fait face à des pénuries de denrées alimentaires, la Camargue, après d’immenses travaux de canaux d’irrigation, va répondre aux attentes des Français et leur fournir une céréale indispensable. De 250 hectares en 1942, on passe à 1 000 hectares en 1945, 13 000 en 1955 et 32 500 en 1961 répartis sur le Gard et les Bouches-du-Rhône. L’âge d’or du riz Camarguais. La mise en place du marché commun va plonger les producteurs dans une crise sans précédent, les coûts de production augmentent, les rendements baissent. Chez les voisins Italiens c’est l’inverse et en 1981, ne subsistent plus que 4 400 hectares de rizières. Il faudra attendre un plan de relance dans les années 90 pour voir les surfaces augmenter et finalement constater en 2015 que l’histoire se répète.
L’avenir du riz de Camargue est en péril. Or sa culture évite les remontées de sel.
Mais c’est aussi tout un écosystème fragilisé notamment pour les pâtures des taureaux qui ne se nourriront certainement pas d’une herbe salée. Sans oublier sur le plan économique les emplois chez les riziers (industriels en charge de la transformation) directement menacés par une production en baisse.
L’eau, la terre, le feu
Tout débute en hiver. Les parcelles sont labourées, griffonnées, nivelées puis fertilisées. La seconde étape consiste à préparer les rigoles pour réguler l’irrigation. En avril, on sème à la volée avec un épandeur à engrais ou avec un semoir en ligne contrairement au reste du monde, on l’on sème par repiquage. Pendant l’été chaque riziculteur gère l’apport en eau, en fonction des températures extérieures et de l’évaporation naturelle puis à la mi-septembre, les moissonneuses-batteuses spécialement équipées pour progresser sur une terre très humide entrent en action pour récolter le riz dit paddy, un riz brut non comestible. Quant à la paille de riz, à défaut d’être valorisée, elle est brûlée sur place puis enfouie pendant l’hiver pour laisser place à une rotation des cultures.
Une trentaine de variétés
En collaboration avec le CIRAD (Centre International en Recherche Agronomique pour le Développement) et le CFR (Centre Français du Riz), les riziculteurs ont à leur disposition une trentaine de variétés de riz qu’ils cultivent selon les demandes, les débouchés et les modes, du riz long au riz rond en passant par les riz de couleur en sachant que les plus prisés aujourd’hui sont le riz long « A » destiné aux sushis, le medium idéal pour les risotto ou la paëlla et le riz rond indissociable du traditionnel riz au lait. Tout commence cependant par le riz complet, un riz paddy dont a décortiqué le grain c’est à dire qu’on lui a ôté sa première enveloppe mais pas la seconde appelée péricarpe. Le grain est alors brun à brun clair ou selon la variété, rouge ou noir, les trois étant tous des riz complets et donc à cuisson longue et vendus en l’état.
Si le rizier se mettait à polir des grains de riz de couleur, il obtiendrait du riz blanc mais ce n’est évidemment pas l’objectif, les rouges et noirs ayant leurs propres marchés.
Polis, les grains de riz devenus blancs sont alors classés par catégorie. Rond, il a longtemps été à la mode avant de tomber en désuétude au profit du riz étuvé mais il fait un retour remarqué pour sa saveur douce préservée à condition de respecter son temps de cuisson à quelques secondes près. Trop cuit, il est collant, pas assez, il est craquant. Le long, qu’il soit inférieur ou supérieur à 3 mm, est le plus commun mais les saveurs varient selon les variétés. Quant au riz étuvé, il ne s’agit en aucun cas d’une variété spécifique. Les riziers partent du riz paddy qu’ils trempent, traitent à la vapeur puis sèchent ce qui rend le riz incollable. Si les qualités nutritives du riz sont conservées, la qualité gustative n’est plus véritablement au rendez-vous. Enfin, les riz naturellement parfumés ne sont ni basmati ni thaï mais issus de variétés développées par les riziculteurs de Camargue.
Une IGP pour le petit poucet Européen
Si la France ou plutôt la Camargue qui produit 98% du riz Français n’est pas le plus petit pays producteur Européen, elle devance la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie, elle est loin derrière l’Italie, l’Espagne, la Grèce et le Portugal. Avec 100 000 tonnes par an, elle ne fait pas le poids face aux 4 000 000 de tonnes européennes. Il a donc fallu se démarquer en déposant un dossier pour obtenir une Indication Géographique Protégée que les riziculteurs ont décroché en 2000. Malheureusement, cette distinction ne permet pas aux producteurs de vendre leur riz plus cher. C’est uniquement un gage de qualité pour le consommateur et une assurance sur le fait que les riziculteurs se sont engagés à respecter l’environnement.
Aujourd’hui la question est posée, la riziculture Camarguaise est-elle vouée à disparaître ?
Cette culture unique en France sera t-elle bientôt classée dans les images d’Epinal ? Pour Bertrand Mazel, « le seuil critique du maintien de la riziculture en Camargue est atteint et pour le consommateur, c’est un choix qui s’amenuise dans les rayons ». Mais le pire, c’est que l’on ne peut même pas demander aux Français d’acheter français, d’avoir un sursaut patriotique pour défendre un patrimoine historique, géographique et culturel puisque toute la production qui baisse inexorablement est écoulée sans problème chaque année.
Faut-il laisser disparaître des filières essentielles aux territoires par leur typicité, leur savoir-faire et cet enjeu incontournable des circuits-courts à valoriser et si essentiels aujourd’hui.. ?. Surtout lorsque s’ajoute un impact important sur les sols, la biodiversité et les paysages…
Ce ne peut-être « tout ou rien » comme il n’est guère judicieux de déshabiller Paul pour habiller Jean !
Cohérence et équilibre…. Où donc êtes-vous ?