Les noms des maraîchers Annie Bertin ou Joël Thiébault font scintiller les regards des chefs et saliver les gourmets qui ne jurent que par le name-dropping. Dommage pour tous les autres qui font un travail de qualité mais que les médias n’ont pas repéré et mis en avant. Thierry et Elise Riant étaient de ceux-là mais les choses changent.
Tradition maraîchère
Si la terre argileuse de Carrières-sur-Seine et sablonneuse de Montesson, la commune voisine, a été longtemps propice à la plantation de vignes – au XVIIIe siècle, on en comptait 100 ha – elle a fini par disparaître au profit des champignonnières puis du maraichage au début du XXe siècle avec des centaines d’hectares dédiés à la culture de la pomme de terre, de la carotte, des salsifis, des pois, des poireaux et des salades. Cet âge d’or du maraichage qui répond à une demande croissante de produits frais à Paris va attirer nombre d’ouvriers agricoles venus de toute la France. Parmi eux, Fernande, la grand-mère de Thierry arrivée de sa Bretagne natale. Elle rencontre son amoureux sur un air de bal musette, se lance à son compte dans la production maraichère essentiellement autour de la carotte, du navet et de la salade et livre Rungis dès son ouverture dans les années 65. Auparavant, on lui propose de vendre ses légumes au marché de Suresnes, sous la halle Caron.
Joël Thiébault a annoncé en 2016 qu’il cesserait son activité, les derniers résistent et se refilent les hectares pour éviter qu’ils ne se transforment en béton.
Aujourd’hui, l’emplacement est toujours le même. En 1971, les parents de Thierry, Chantal et Jean-Pierre, prennent le relais de Fernande, sur l’exploitation et au marché. Pendant ce temps à Carrières-sur-Seine et à Montesson, les maraichers font bloc pour résister à la pression immobilière. Des centaines d’hectares de terres agricoles font saliver les promoteurs qui rêvent de voir sortir de cette plaine, des dizaines de pavillons et d’immeubles… avec vue imprenable sur La Défense. Et si les maraichers mettent la clé sous la porte les uns après les autres, Joël Thiébault a annoncé en 2016 qu’il cesserait son activité, les derniers résistent et se refilent les hectares pour éviter qu’ils ne se transforment en béton. Thierry Riant, formé à l’Ecole d’Horticulture, du Paysage et du Commerce Saint-Ilan à Langueux (22), qui a repris la suite de ses parents en 2001 se souvient que dans les années 80, il y avait une trentaine de maraichers rien que dans sa rue, une centaine au total sur le bloc comme il le surnomme affectueusement. Encore récemment, à une réunion syndicale, ils n’étaient qu’une douzaine et selon les derniers chiffres, ils ne seraient plus que 4 sur la commune de Carrières-sur-Seine et 5 sur Montesson essentiellement fournisseurs des centrales d’achat.
De saison et raisonnée
Sur les marchés de Suresnes (le jeudi et le dimanche sous la halle Caron et le mercredi et le samedi sur la place du Général Leclerc), Elise vante la production de son cher et tendre dont les 7 variétés de courgettes, les carottes, le chou-rave, les blettes aux pieds multicolores, les fraises de plein champ, le thym citronné, la sauge, la verveine, les artichauts…Titulaire d’un Master 2 en droit d’urbanisme décroché à l’IHEDREA (Ecole de management des territoires et de l’agrobusiness), elle a épousé la passion de Thierry et conseille les clients. Ou plutôt les éduque.
Ils avaient perdu la notion des saisons, on essaie de les remettre dans le droit chemin ou alors d’orienter leurs choix vers d’autres légumes…
À l’interrogation d’un client sur l’absence de tomates au mois de juin, Elise lui rappelle avec le sourire que ce n’est pas la saison. Thierry les a plantés semaine 16 soit autour du 18 avril et les premières ne seront disponibles qu’à partir du 14 juillet. Certains tiquent, font la moue surtout s’ils jettent un œil au stand voisin garni de fruits et légumes arrivés de Rungis sans le moindre respect des saisons et tous parfaitement calibrés. « On ne fait pas le même métier, eux ils vendent des légumes, moi je vends les nôtres en fonction de ce que dame nature me propose » souligne Elise. Mais à écouter le couple Riant, exceptés les petits-fils et petites-filles des clients de Fernande qui connaissent bien la maison, les autres font partie d’une génération qu’il a fallu éduquer. « Ils avaient perdu la notion des saisons, on essaie de les remettre dans le droit chemin ou alors d’orienter leurs choix vers d’autres légumes quand ils arrivent avec leur liste de courses ». Selon leurs dires, ces clients sont plutôt ouverts et la confiance règne entre le producteur et le consommateur. Il faut entendre leurs échanges sur leur stand « les courgettes, vous allez en faire quoi » ? « Une ratatouille ». « Dans ce cas, prenez plutôt cette variété ». Les clients opinent du chef, se laissent faire mais surtout questionnent et c’est ce qui plaît au couple de maraichers. « Ils veulent tout savoir, où ça pousse, en combien de temps, à quelle heure c’est récolté, le nom de la variété. A cette dernière interrogation, je ne réponds pas sinon mes voisins vont me copier ».
Moi, je donne du temps à mes légumes, je les écoute, je les goûte, je les bichonne
Parce que Thierry Riant n’est pas un maraicher comme les autres, il se différencie par une qualité de légumes bien au-dessus de la moyenne. Et à la question de savoir pourquoi son voisin ne fait pas aussi bien que lui. La réponse fuse « ils ne font pas moins bien que moi mais travaillent pour des clients, les grandes surfaces, qui ne leur laissent pas le temps de bien faire, il faut produire, toujours produire et essentiellement des variétés classiques. Moi, je donne du temps à mes légumes, je les écoute, je les goûte, je les bichonne mais surtout, je cherche à remettre au goût du jour des anciennes variétés comme la batavia dorée ou alors j’en teste des nouvelles et pour certaines, je fais mes propres plants. Ce qui sort aujourd’hui, le mini concombre, le navet de Tokyo ou les courgettes blanches, c’est le fruit de dix années d’essais et de culture. Parfois, je me plante comme avec le melon, parfois c’est un vrai succès comme avec le navet long qui se mange cru comme un radis ».
La consécration des chefs
Depuis toujours, les Riant vendent la totalité de la production de leurs 12 hectares sur les 4 jours de marché de Suresnes. Seulement depuis 2012, ils ont, sans le vouloir, touché quelques chefs de cuisine et pas des moindres. Invités au restaurant Lasserre par les éditions Lebey à la soirée de lancement du guide des restaurants, ils avaient la possibilité d’exposer et de faire goûter leurs légumes aux convives.
Mes légumes sont bien élevés et ils ont le goût de ce qu’ils sont
À la fin des festivités, désireux de rentrer les mains vides, ils ont proposé au chef de l’époque, Christophe Moret, de garder et de cuisiner leurs légumes. Le chef tombe sous le charme des variétés et des goûts. Comme le dit Thierry « mes légumes sont bien élevés et ils ont le goût de ce qu’ils sont ». Le bouche-à-oreille fait son œuvre et certains chefs parisiens s’intéressent à cet outsider qui ne met jamais un pied à la capitale. Christophe poursuit sa collaboration après son départ de chez Lasserre pour le Shangri-La hôtel. Il a d’ailleurs à sa carte un plat clin d’œil à ses fournisseurs « la betterave golden d’Elise cuite au foin, pousses et herbes du potager, vinaigrette d’un bortsch ». Frédéric Vardon du 39V lui emboîte le pas puis Alain Pégouret de chez Laurent et les chefs du 6 Paul Bert, de l’Atelier Rodier, du Comptoir Canailles et de chez Philippe et Jean-Pierre. Mais attention, Thierry ne vend que si le chef de cuisine vient le voir sur son exploitation afin que ce dernier comprenne la rotation de ses cultures en fonction de la terre et plus globalement, sa façon de travailler « chez moi, il y a des pucerons dans les salades, c’est la nature, je ne traite pas ou très peu. Pour nourrir mes terres, j’utilise du compost et pour mes fraises, je mets des algues ». Et le retour des coquelicots et des coccinelles autour de ses parcelles est une preuve que l’homme est respectueux de la nature.