Vous connaissez tous autour de vous, un petit libraire, un petit plombier, un petit garagiste, un petit cordonnier ou un petit charcutier. En réalité non ! Vous les côtoyez, cela va de soi, mais jamais vous ne vous permettez de mettre, d’écrire ou de prononcer l’adjectif « petit » devant leur profession. À l’inverse, quand il s’agit d’un producteur de tomates, de cerises, de fromages de chèvre, de petit épeautre ou de graines de moutarde, tout le monde y va de son… petit !
La crise du coronavirus que nous traversons depuis plus d’an a considérablement modifié les méthodes de commercialisation et d’achat des producteurs et des citoyens. Parce que la nature ne s’est jamais arrêtée pendant que l’être humain se confinait, les producteurs ont été contraints de trouver des solutions pour écouler leur lait, leurs fromages ou leurs fruits et légumes. Ils ont investi des commerces temporairement fermés, ont adhéré à des plateformes de livraisons, créé leurs sites Internet marchands ou rejoint des circuits de distribution alternatifs, mis en place des drive fermiers, ouvert les portes de leurs exploitations pour recevoir du public et vendre leurs productions en direct. Nous sommes allés à leur rencontre, nous les avons soutenus parce qu’ils ont été, sont et seront toujours un maillon essentiel de notre alimentation. Durant cette période, les producteurs, et pas seulement les stars, ont été mis en avant comme jamais par le gouvernement, la presse, leurs organisations syndicales et même par la grande distribution mais toujours affublés de cet adjectif « petit ».
Parallèlement, la médiatisation – toujours en cours – des chefs de cuisine et des artisans des métiers de bouche offre à ces producteurs une vitrine médiatique amplement méritée pour valoriser leurs productions, leurs savoir-faire et parfois leurs engagements écoresponsables. Cependant, il serait de bon ton que les professionnels cessent, à longueur d’interviews, d’indiquer qu’ils travaillent avec des « petits producteurs ». Producteur ou productrice suffira. À toujours vouloir préciser « petits », cela sous-entendrait qu’il y a des gros ou des grands alors qu’en réalité, il y a les producteurs artisans et les industriels de la production à l’instar de l’exploitation à Cléder dans le Finistère qu’Emmanuel Macron avait arpentée en avril 2020 où, sur 4,5 hectares de serres chauffées sont cultivées, chaque année, 2 500 tonnes de tomates hors sol. Plus étonnant encore, cette distinction faite selon le métier. Jamais il n’est écrit « petit vigneron », « petit éleveur », « petit ostréiculteur » ou « petit pêcheur ». En revanche, l’adjectif se pointe quand il s’agit d’englober les métiers de maraîcher, de fromager… et bien d’autres.
Les producteurs et les productrices ne sont pas petits. Ils nous nourrissent toute l’année, par tous les temps pour des revenus qui sont loin d’être à la hauteur de leur temps passé, de leurs engagements ou de leurs convictions. Ils sont maraîchers, apiculteurs, héliciculteurs, safraniers, paludiers, volaillers, coturniculteurs… et à les écouter, ils ne travaillent pas avec « un petit chef », un « petit restaurant », un « petit pâtissier » et n’ont pas accordé d’interview à un « petit journaliste ». Rendons leur hommage en cessant d’utiliser cet adjectif péjoratif au profit d’une appellation plus valorisante comme producteurs fermiers qui a l’avantage d’englober tous les métiers de l’agriculture, de souligner qu’ils produisent et vendent en direct et d’écarter par le mot fermier, les mastodontes de la production. Ces hommes et ces femmes sont les gardiens de nos terroirs et de nos territoires qu’ils façonnent et défendent quotidiennement avec pour seul objectif de nous proposer le meilleur de leurs terres à transformer ou à cuisiner directement pour que nous puissions nous régaler autour d’une « grande » tablée.
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Philippe Toinard – Rédacteur en chef de la revue 180°C