Les huîtres de l’étang de Thau :
Tarbouriech ou la vie en rose

Pour apprécier l’immensité de l’étang de thau, il faut gravir le mont saint-clair à sète. de là, vue imprenable sur le plus grand étang du languedoc où s’alignent des centaines de tables sous lesquelles les huîtres de bouzigues grossissent sans jamais connaître les marées. sauf qu’un homme, florent Tarbouriech, en a décidé autrement.

De Marseillan à Balaruc-les-Bains, mas et cabanes d’ostréiculteurs sont presque collés les uns aux autres. C’est ici que l’on venait autrefois en famille pour le gueuleton dominical, les pieds dans l’eau. Florent Tarbouriech s’en souvient comme si c’était hier. Un dimanche, ça se passait au Mazet, le mas de son père, la semaine suivante, on rejoignait à une dizaine de mètres, le mas des cousins, les Barthelemy. Au menu, brasucade de moules, huîtres crues ou gratinées et picpoul-de-pinet dans les verres. Entre deux bouchées et deux rasades, chacun jetait un œil aux tables ancrées dans le prolongement de la jetée dans les profondeurs de l’étang. Sous l’eau, des milliers de cordes sur lesquelles ont été collées des petites huîtres qui resteront immergées pendant une année. Pour certaines familles, c’est un complément de revenus, pour d’autres, une activité principale en fonction du nombre de tables dont ils sont propriétaires. Dans les années 1980, le père de Florent en possède quatre, les Barthelemy un peu plus et Florent, l’enfant de Sète, n’a aucune envie d’en faire son métier. Il se destine au dessin industriel et s’apprête à passer un bac F1 pour espérer intégrer un bureau d’études à Lyon ou à Montpellier. Sauf que la nature va bouleverser l’équilibre familial.

huitres étang Thau Tarbouriech
Florent Tarbouriech, ostréiculteur, a révolutionné la culture des huîtres dans l’étang de son enfance – © 180° – Photographie Éric Fénot

Nous sommes le 7 novembre 1982, l’Europe occidentale est balayée par une tempête, le Languedoc est durement frappé. À Sète, Marseillan, Bouzigues, les pontons sont emportés, les embarcations coulées et sur l’étang, les tables s’effondrent comme un château de cartes. Des dizaines d’années d’efforts anéanties en deux jours. Des milliers d’huîtres reposent au fond de l’eau. Tous les plongeurs de la région sont réquisitionnés. Il faut sauver la production. Florent lâche ses crayons et ses cahiers. Il a 16 ans et plonge en apnée pour récupérer les huîtres de son père. Il ne retournera pas à l’école. Sa décision est prise après une semaine d’efforts. Il veut devenir ostréiculteur.

Dans un premier temps, son père refuse. Le fameux « passe ton bac d’abord » ne prend pas et à court d’arguments, il laisse son fils voguer vers une nouvelle aventure.

En mars 1983, Florent décroche son Brevet Professionnel de Marin. Plongeur en mer et dans l’étang le matin, il ramasse par 15 mètres de fond le violet de roche, les palourdes, les oursins, les moules. L’après-midi, il rejoint son père qui lui apprend le métier sur les tables jusqu’en 1986, année où il rejoint prématurément le paradis des ostréiculteurs. Florent n’a que 20 ans mais il décide de poursuivre l’aventure familiale et artisanale. Du jour au lendemain, il prend conscience des dangers de la plongée, range son masque et ses palmes et décide de ne se consacrer qu’à sa société, Médithau, qu’il crée en 1989 et qu’il installe dans le mas paternel de 48 m2. Très vite, il achète de nouvelles tables, mais c’est surtout vers la mytiliculture en mer Méditerranée qu’il se tourne en conservant la tradition de la production telle qu’elle est pratiquée dans l’étang à savoir des moules immergées. Les attaques de dorades finissent par menacer la viabilité de son projet et Florent se recentre sur l’étang de Thau.

huitres étang Thau Tarbouriech
L’étang de Thau, plus grand étang du Languedoc – © 180° – Photographie Éric Fénot

la moule finance l’huître
À deux pas du mas familial, Médithau s’agrandit et réceptionne de toute l’Europe du Sud des moules de cordes que les employés dégrappent avant de les déposer dans des bassins et de les mettre en marché après les avoir calibrées, triées et conditionnées, le cœur de métier de Médithau. Cependant, Florent n’oublie pas les huîtres. En 1998, il possède entre 25 et 30 tables et réfléchit à produire une huître de Bouzigues différente.

Depuis le début du xxe siècle, le principe de production de l’huître de l’étang de Thau n’a que très peu évolué mais il reste unique en France.

C’est à un maçon, Antoine-Louis Tudescq que l’on doit le développement de cette technicité ; une table de 50 mètres de long pour 12 de large sur laquelle sont attachées des cordes (autrefois, des pyramides de béton) que l’on immerge. Sur chacune d’entre elles, l’ostréiculteur a auparavant collé manuellement avec du ciment des petites huîtres de 3 centimètres.

huitres étang Thau Tarbouriech
Fixés manuellement sur un support préencollé, les naissains s’apprêtent à rejoindre l’étang – © 180° – Photographie Éric Fénot

À l’époque, comme ses 500 camarades ostréiculteurs de l’étang, Florent en fait de même mais avec 5 confrères, ils créent un GIE (Groupement d’Intérêt Économique) et lancent l’Exquise®, une huître de Bouzigues qui aura subi 2 exondations, c’est-à-dire deux sorties de l’eau. Très vite, l’Exquise® obtient une CCP, Certification de Conformité Produit. Encourageant mais le marché peine à la référencer. La Bouzigues, exquise ou pas, n’attire pas les foules et encore moins les chefs de cuisine prioritairement visés qui ne jurent que par les Gillardeau de Charente-Maritime et pour une poignée d’entre eux par les huîtres de Prat-ar-Coum dans le nord du Finistère. Florent aurait pu en rester là, se recentrer sur son entreprise, développer le marché de la moule, de la telline, de la palourde, du violet et de l’oursin tout en commercialisant ses huîtres auprès de ses circuits de distribution traditionnels mais il ne désarme pas et est convaincu que l’huître de Bouzigues a besoin d’être valorisée. Il faut donc trouver l’élément qui va la faire basculer dans une autre dimension.

À tâtons mais avec abnégation
En 2005, l’idée de sortir les cordes plusieurs fois par jour paraît complètement insensée. Pourtant, en reproduisant ainsi artificiellement le cycle des marées, Florent se rend compte très rapidement que son huître se métamorphose. Lourde en mains, bien nacrée, elle n’est plus la même. Il remplit une bourriche et file rencontrer Jean Fleury, directeur des brasseries de Paul Bocuse à Lyon. Dégustation, approbation, première commande. Seulement, Florent n’en a que 100. Tout le monde va devoir patienter car cette nouvelle technique est purement artisanale, la corde sortie de l’eau tient de façon bancale autour d’une perche tournante et, parfois, Florent oublie de la replonger dans l’étang ou à l’inverse la laisse immergée pendant plusieurs jours. Finalement, il opte pour un test grandeur nature. Sur une table, il installe un moteur qui relève une centaine de cordes à la fois et à raison d’une centaine d’huîtres par corde, il finit par obtenir une tonne de cette huître qui ne s’appelle pas encore à l’époque la Tarbouriech.

Les huîtres de l'étang de Thau :<br/> Tarbouriech ou la vie en rose
Immergées puis exondées, les huîtres sont élevées selon la technique développée et brevetée par Florent Tarbouriech, exclusivement pratiquée dans l’étang de Thau. – © 180°C – Photographie Éric Fénot

Retour chez Jean Fleury qui la met à la carte de la brasserie L’Ouest à Lyon. Une fois encore, face au succès, la quantité n’est pas suffisante et il faut gérer le mécontentement des acheteurs. Si le produit est si apprécié, c’est qu’il est temps de réfléchir à un projet de mécanisation sans tomber dans le tout moteur, trop polluant aux yeux de ce défenseur des énergies renouvelables. Deux options s’offrent à lui, l’éolien ou le panneau solaire. C’est finalement la seconde technique qui est approuvée. En 2008, il équipe une table soit 1 000 cordes qui sortent de l’eau en s’enroulant sur des perches qui tournent grâce à l’énergie des panneaux. Le système fonctionne, le brevet est déposé.

Reste à définir les temps d’immersion, la durée hors de l’eau, le nombre de mouvements par jour.Tout se fait à tâtons.

Parfois, les huîtres ne sortent qu’une fois quotidiennement mais restent au grand air entre 6 et 24 heures, parfois, elles ne sont remontées que deux fois par semaine mais pour 48 heures. C’est quelque peu empirique mais l’huître stresse et c’est le but recherché car pendant qu’on lui change ses habitudes, elle se renforce, fait des réserves et se muscle. En 2009, 4 tables étaient équipées d’un panneau solaire, aujourd’hui une trentaine sur un parc total de 40 tables pour une production annuelle de 80 tonnes soit 800 000 huîtres qui portent désormais fièrement le nom de Spéciale Tarbouriech®. Quant aux autres tables, les huîtres restées immergées pendant un an sont classées en Bouzigues.

La rolls de l’huître

Vendue plus chère qu’une Gillardeau, la Spéciale Tarbouriech® a aujourd’hui conquis les plus belles maisons et séduit les plus grands chefs comme Éric Coisel chez Prunier, Guy Savoy, Pierre Gagnaire, Michel Rostang ou encore Éric Briffard au George V à Paris. Il en aura fallu du temps, des dizaines de tests et beaucoup de conviction pour arriver à ce résultat, une huître propre débarrassée par l’effet conjugué du mistral et du soleil de toutes les algues et colonisateurs qui, habituellement, se fixent sur sa coquille sous l’eau. Mais elle n’est pas que propre. Le temps passé hors de l’eau lui donne une nouvelle coloration, elle se pare de rose à l’extérieur, et la nacre de reflets irisés à l’intérieur.

Les huîtres de l'étang de Thau :<br/> Tarbouriech ou la vie en rose
Depuis 2012, les équipes de Médithau produisent également des huîtres biologiques certifiées. – © 180° – Photographie Éric Fénot

Côté dégustation, c’est incomparable. Finement iodée, incroyablement charnue, la Spéciale Tarbouriech® occupe tout l’espace de la coquille, plus de chair, plus de densité, plus de croquant, plus de fondant et des arômes de noisette et de champignon particulièrement délicats. Et parce que l’innovation est le maître mot de la maison, la famille Tarbouriech, ou plus précisément Florie, la fille de Florent, a imaginé la Seven® comme la 7e création de Médithau à moins que ça ne soit la 7e merveille du monde ou le 7e péché capital, celui de la gourmandise. À l’instar de la Spéciale Tarbouriech®, la Seven® passe également deux ans dans les eaux riches de l’étang de Thau en subissant le même sort que sa grande sœur, l’exondation. La différence tient dans une nouvelle étape de la production, le roulage dans la vague. Déposées par petites quantités dans un panier dit australien, les huîtres, ballottées par le mouvement de l’eau, s’entrechoquent et acquièrent un polissage unique. Petites, elles sont calibrées en n° 4 ou n° 5, elles sont vendues dans un emballage vertical rose et gris avec le kit du parfait écailler. Une huître que l’on peut offrir comme un cadeau et qui vise clairement une cible féminine mais que l’on peut aussi déguster en saison dans l’ancien mas des Barthelemy devenu aujourd’hui le Saint-Barth. Un lieu resté dans son jus où l’on vient comme autrefois s’encanailler autour de quelques huîtres et d’un verre de picpoul-de-pinet… La boucle est bouclée.

Un reportage de Philippe Toinard (texte) et Éric Fénot (photographies), extrait des pages du n°2 de la revue 180°C

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Tarbouriech – Médithau
Chemin Des Domaines Mas de Montpénèdre, 34340 Marseillan
04.67.77.23.21
https://www.tarbouriech.fr
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