Lirac… L’appellation oubliée

Face à Châteauneuf du Pape, de l’autre côté du fleuve, se situe Lirac, l’une des appellations les plus méconnues de la vallée du Rhône. Là, on trouve un plateau de 600 hectares dont le sol est constitué de galets roulés et de terres sablonneuses très riches. Comme nous l’explique Pascal Lafont, vigneron bio depuis 9 ans, le lit du Rhône s’est déplacé, laissant à nu des terrains propices à la culture de l’olive et de la vigne. L’origine géologique est proche de celle de Châteauneuf du Pape.
Seulement voilà, les papes ont choisi un camp et le prix de l’hectare est aujourd’hui 5 à 6 fois plus élevé sur la rive gauche. Le tarif des vins varie bien sûr en conséquence… mais c’est finalement une bien bonne nouvelle que de pouvoir se régaler d’un Lirac pour 10€ la bouteille !

Bien avant les gilets jaunes
C’est bien avant les gilets jaunes et juste avant les bonnets phrygiens que les ancêtres des Lafont vinifiaient déjà sur ces terres. Pascal, qui a passé sa vie ici, conserve des archives familiales datant de 1780, tandis que ses 2 fils préparent la relève en douceur. Lafont Roc Epine a toujours été l’un des pionniers de l’appellation Lirac et c’est d’abord pour sa descendance qu’il s’est converti au bio il y a 10 ans :

Je voulais transmettre à mes enfants quelque chose de viable.

 

Lirac... L'appellation oubliée
Domaine Lafond, une histoire de famille dans les vignes – © 180°C Photographie Manu Rodriguez

L’évidence et les contraintes du bio
« On a eu assez tôt une prise de conscience environnementale en observant la terre, les cultures… il y a 15 ans, la vie organique du sol commençait à disparaître. On se rendait compte de ce qui se passait, il était indispensable, par rapport à la faune, aux insectes, mais aussi à la flore, de réagir ».

La démarche nécessite de lourds investissements en hommes et en matériel. Elle est d’autant plus compliquée à mettre en œuvre que les vins de Lirac et de Tavel, mal valorisés, sont bon marché.

« On a eu une période d’adaptation en agriculture raisonnée pendant 3 ou 4 ans avant la certification. Il a fallu renouveler le matériel, abandonner les appareils de traitements et s’équiper de décavaillonneuses, de bineuses, d’outils spécifiques au travail du sol. A partir du moment où l’on ne traite plus, il faut ouvrager le sol mécaniquement, piocher autour des jeunes plants de vigne pour limiter la concurrence des herbes, sortir la charrue, griffonner… Les années pluvieuses, lors des gros orages d’août, il convient d’enlever les végétaux qui poussent entre les plants ou carrément dans les souches. C’est un vrai travail de précision. Les tractoristes ont mis 2 ans à s’adapter et on a recruté une personne supplémentaire… »
L’homme prend le relais de la chimie.

10 ans après, dans les verres
Et 10 ans après, le résultat est bien là, en bouteille. Un guide connu classe régulièrement le Lirac rouge de Lafont Roc Epine dans la catégorie « vin exceptionnel » alors que le gourou Robert Parker donnait à cette même cuvée, en 2014, la note de 90/100.  Plutôt pas mal pour un flacon qui émarge… à 10€30 ! De notre côté, on a apprécié la robe dense et rubis du Lirac 2016, son nez riche et complexe, sa bouche longue et concentrée, croquante de fruits rouges et noirs. Le Ferme Romaine 2016, la cuvée haut de gamme du domaine, est encore plus profonde, charpentée et tannique, dévoilant des notes de griotte et poivre noir.

Châteauneuf du Pape n’est pas si loin, assurément.

On a aussi aimé les Tavel, vrais rosés de repas, denses, compagnons idéaux de la fougasse aux grattons de la boulangère d’à côté. Et la tentative de vin sans souffre menée pour la première fois au domaine autour d’un rosé haut de gamme. La « pelure d’oignon » des années 90 n’est plus qu’un mauvais souvenir, lointain. Tavel aussi produit des vins de qualité, en bio et évolue dans le bon sens.

La Guerre en Lirac
Mais 10 ans après, ce qui compte vraiment, c’est que la culture bio évite le ravinement des sols. Durcis par les pesticides et les désherbants, les sols plats et damés provoquent des problèmes d’érosion majeurs : c’est comme après la guerre en Lirac…
Au contraire, les sols des vignes travaillés en bio, binés et aérés, ralentissent la circulation de l’eau qui pénètre mieux la terre. C’est particulièrement important dans ces régions où les orages, souvent violents, déversent de grosses quantités d’eau en très peu de temps.

Le bio n’est certainement pas la solution à tous les problèmes, mais on se devait de signaler qu’en la matière, la région et ses appellations sont en avance sur le reste du vignoble français : 25% de la production bio à Châteauneuf du Pape, 15% à Tavel, 10% à Lirac… c’est plutôt encourageant non ? Pascal Lafond le concède : « Encourageant…oui…mais je dirais plutôt que c’est…de la conscience professionnelle ».

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