Les arbouses, boules de Noël

Les arbres de Noël les mieux décorés du Sud-Est ne sont évidemment pas les sapins. Ce sont les arbousiers. Leurs petits fruits fragiles aux couleurs vives – les arbouses – font partie des délices de la fin d’année.

Dans le Sud de la France, nos arbres sont décorés pour Noël. Entre les derniers kakis, les nèfles et les agrumes, les fruits aux couleurs vives sont nombreux et donnent des airs de fête aux jardins ces jours-ci. Mais les forêts ne sont pas en reste : du bord des routes, on peut apercevoir une multitude de petites boules du jaune vif au rouge foncé, en passant par toutes les plus belles nuances d’orangé, dans des arbres et arbustes aux feuilles persistantes. Ce sont des arbouses, et leur seule évocation fait généralement saliver les gens du coin.

Nous avons tous cueilli ce fruit quand nous étions gosses. On en a mangé jusqu’à être malade, directement dans la forêt – très fragile, l’arbouse ne se garde pas et supporte mal le transport – on en a rempli des paniers pour faire de la gelée à la maison. La gelée est fabuleuse, d’une belle couleur ambrée tirant sur le rose, avec un goût de miel très fruité. Le fruit lui-même a un goût assez insaisissable : si on est capable de le reconnaître immédiatement, en y réfléchissant bien, il est difficile de le décrire. J’ai sondé des gens autour de moi afin de m’assurer que je n’étais pas totalement incompétente. Leur réponse, invariable : « C’est bon, c’est sucré. » Visiblement, tout le monde a du mal à être spécifique.

Un étonnant goût de… fruit ?
L’arbouse est effectivement sucrée, légèrement acidulée, et riche en tannins, d’où une certaine astringence, mais son arôme n’évoque pas franchement quoi que ce soit de précis. Ce serait plutôt un goût de fruit assez générique, qui rappelle un mélange d’espèces variées, comme un jus multi-fruits. Mais cette description, dont je ne suis pas fière, est minable et dégradante, donnant l’impression que l’arbouse n’est pas bonne. Au contraire, elle est délicieuse, c’est un nectar.

Ce qui est plus facile à mettre en mots, c’est l’aspect et la texture de l’arbouse. Il s’agit d’une baie de deux centimètres de diamètre environ, à la peau rugueuse et couverte de petite pointes coniques. Son relief et sa couleur lui donnent un aspect presque lumineux. Contrairement au litchi, cette enveloppe externe n’est ni épaisse, ni coriace : on mange l’arbouse entière, peau incluse, et celle-ci s’écrase sous la dent sans la moindre résistance. La chair du fruit est légèrement farineuse, extrêmement tendre, et bourrée de petites graines qui restent coincées dans les dents. C’est pour cela qu’on préfère la gelée d’arbouses à la confiture ; non seulement les graines sont désagréables, mais l’arbouse gélifie magnifiquement grâce à sa forte teneur en pectine.

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Arbouse en coupe sagittale – on aperçoit les graines – © 180°C – Photographie Camille Oger

Habitants de la Côte d’Azur, sortez vos paniers
En ce moment, il y a des arbouses partout autour de chez moi, dans le Sud-Est. L’arbousier supportant très bien le sel, on en trouve aussi bien dans les massifs forestiers de l’arrière-pays qu’en bord de mer – littéralement au bord de la mer, à deux mètres de l’eau, notamment au Cap d’Antibes où j’en ai trouvé la semaine dernière. La cueillette est généralement aisée, car l’arbousier est souvent de petite taille, ressemblant presque plus à un buisson qu’à un arbre dans certains cas. Il peut toutefois prendre de la hauteur, atteignant sans mal 8 à 10 mètres, laissant ses fruits désespérément inaccessibles.

S’il s’agit d’une espèce a priori typiquement méditerranéenne, courante dans les Alpes-Maritimes, la Corse et le Var, elle est étonnamment rustique. On trouve des arbousiers au bord de l’Atlantique et jusqu’en Normandie – ils survivent même sans problème jusqu’en Irlande. Tout le monde ne profite toutefois pas de leurs fruits, car dans certaines régions, on n’a pas une culture de l’arbouse aussi ancrée qu’ici.

Un fruit gratuit et abondant à la fin de l’automne, ça ne se refuse pourtant pas.

Vous n’en trouverez pas dans le commerce, du moins pas en France. Dans le Sud, elle est trop fragile et trop abondante pour avoir la moindre valeur sur nos marchés. Et même la gelée se trouve difficilement : si on la prépare volontiers en famille, il paraîtrait étrange d’en faire commerce.

Habitants d’ailleurs, vous pouvez en planter
L’arbre est quant à lui de plus en plus courant dans les pépinières. Les particuliers et les municipalités en plantent avec plaisir, y compris Paris : l’arbousier ne perdant pas ses feuilles, gardant globalement une taille modeste et donnant des fruits aussi jolis que comestibles, il a de nombreux avantages. Il produit aussi des fleurs ravissantes : des petites clochettes blanches tirant sur le vert et le rose pâle que l’on voit souvent en même temps que les fruits. La floraison a en effet lieu un an à l’avance, le fruit mettant une douzaine de mois à se développer. Et la gelée d’arbouse a beau rappeler un miel fabuleux d’un point de vue aromatique, les fleurs d’arbouses ne sont pas du tout recommandées pour faire du miel : elles lui donnent une saveur amère.

Si Pline l’Ancien n’en mangeait jamais plus d’une – d’où le nom qu’il a donné au fruit, unedo, gardé par Linné pour baptiser l’espèce Arbutus unedo -, c’est le moment de sortir dans les bois pour se gaver d’arbouses, les amis. La saison prendra vite fin, donc si vous êtes amateur, profitez-en, c’est en plus une très bonne année !

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